Concilier mesures techniques de protection et interopérabilité

Concilier mesures techniques de protection et interopérabilité

Laurence Tellier-Loniewski – La conciliation des mesures techniques de protection des œuvres et de l’interopérabilité des systèmes techniques est l’un des objectifs poursuivis par la loi DADVSI (1). Mais sa mise en œuvre suscite en pratique bien des interrogations.

Par un avis rendu le 8 avril 2013 (2) à propos des mesures techniques de protection des disques Blu-Ray, l’Hadopi apporte un éclairage sur les conditions auxquelles un éditeur de logiciel peut accéder aux informations relatives aux mesures techniques de protections qui sont nécessaires à l’interopérabilité.

Cadre légal des mesures techniques de protection. Défendre son œuvre contre les copies illicites au moyen de mesures techniques de protection est un droit consacré par la loi, qui protège les mesures techniques de protection en tant que telles et sanctionne pénalement leur contournement.

Les mesures techniques de protection sont définies très largement par la loi et comprennent les technologies de toute nature. Cependant, les mesures techniques de protection ne sont protégées que pour autant qu’elles soient « efficaces ».

La loi prévoit par ailleurs que les mesures techniques de protections ne doivent pas être de nature à empêcher l’usage normal de l’œuvre ni la mise en œuvre effective de l’interopérabilité (3), c’est-à-dire la capacité d’un logiciel ou d’un dispositif technique à communiquer avec d’autres logiciels ou dispositif techniques. L’objectif de ce texte est de permettre aux utilisateurs de lire une œuvre dont ils ont régulièrement acquis un exemplaire, ou à laquelle ils ont un accès licite, sur le système technique de leur choix.

Les éditeurs de logiciels qui souhaitent développer des systèmes interopérables ont la faculté de s’adresser aux titulaires des mesures techniques de protection pour leur demander communication des « informations essentielles » nécessaires à l’interopérabilité. En cas de refus, ils peuvent saisir l’Hadopi, qui s’est vue confier la délicate mission d’arbitrer les conflits entre les titulaires des mesures techniques de protection et les éditeurs de logiciels (4). L’Hadopi est par ailleurs compétente pour toute question qui lui est posée relativement aux mesures techniques de protection.

Saisine de l’Hadopi. C’est dans ce cadre que l’association VideoLAN, éditeur du logiciel « libre » VLC media a saisi l’Hadopi sur la question de l’interopérabilité des mesures techniques de protection apposées sur des disques Blu-Ray, dans les termes suivants :

« De quelle manière l’association VideoLAN, éditrice du logiciel libre VLC media peut-elle mettre à disposition des utilisateurs une version du logiciel VLC media player permettant la lecture de l’ensemble des disques couramment regroupés sous l’appellation « Blu-Ray » et comportant des mesures techniques de protection, dans le respect de ses statuts et de l’esprit du logiciel ».

Contournement des mesures techniques de protection. VideoLAN demande en d’autres termes si elle est en droit de réaliser un lecteur qui contourne les mesures technique de protection des disques Blu-Ray, et ce au nom de l’exception de décompilation et d’ingénierie inverse donc bénéficient les utilisateurs de logiciel.

Cette question soulève la problématique de la nature logicielle des mesures techniques de protection, et de leur appréhension en tant que logiciel, ce qui autoriserait à procéder par soi-même à leur décompilation ou à leur analyse par ingénierie inverse en vertu des droits conférés à ce titre aux utilisateurs de logiciels.

De manière peu surprenante, l’Hadopi ne suit pas cette analyse. Les mesures techniques de protection ne constituent pas de logiciels en tant que tels et le caractère logiciel (au demeurant souvent partiel) des mesures techniques de protection n’autorise pas l’exercice des exceptions réservée aux utilisateurs de logiciels.

Efficacité des mesures techniques de protection sur les disques Blu-Ray. Il ressort de l’analyse menée par l’Hadopi que les mesures techniques de protection employées sont en l’espèce une mesure de chiffrage algorithmique (AACS) couplée à une machine virtuelle (BD+) permettant de contrôler l’authenticité du lecteur. Les mesures techniques de protection sur les disques Blu-Ray constituent ainsi des mesures techniques de protection efficaces.

Ces mesures techniques de protection sont destinées à prévenir les copies et usages illicites des œuvres. Elles entrent donc bien dans le champ d’application de la loi et par conséquent leur contournement est interdit.

L’Hadopi relève cependant que les mesures techniques de protection ont pour effet de limiter la lecture des contenus Blu-Ray à certains lecteurs. La question de savoir si cette limitation est justifiée par l’objectif légitime de protection recherché reste ouverte. L’Hadopi semble y répondre par la négative. Mais VideoLAN n’ayant pas demandé les informations auprès des titulaires des mesures techniques de protection, elle est invitée à entreprendre cette démarche avant tout recours.

Mesures techniques de protection et secrets de fabrique. Il ressort de l’article L 331-32 du code de la propriété intellectuelle, comme des travaux parlementaires qui ont présidé à la loi DADVSI, que les « informations essentielles » relatives aux mesures techniques de protection qu’un éditeur est en droit de solliciter s’entendent de la documentation technique et des interfaces de programmation nécessaires pour permettre à un dispositif technique d’accéder à l’œuvre protégée, « y compris dans un standard ouvert ». Il s’agit certainement là du point le plus sensible du dispositif, et de l’équilibre le plus délicat à trouver entre d’une part l’interopérabilité, d’autre part le secret nécessaire à la protection de la propriété intellectuelle et du savoir- faire.

A la question de savoir si la communication des informations couvertes par un secret de fabrique peut être exigée, l’Hadopi répond que le secret ne saurait faire échec par principe à la communication des informations essentielles, faute de quoi le texte serait privé de tout effet.

Cette position semble conforme à la loi : celle-ci dispose en effet que le titulaire de droits sur les mesures techniques de protection ne peut pas imposer à l’éditeur d’un logiciel interopérable de renoncer à publier son code source et sa documentation (ce qui est le mode d’exploitation normal des logiciels libres) à moins de rapporter la preuve, au cas par cas, des risques particulièrement graves que présenterait la divulgation de ces information.

Conflits relatifs aux mesures techniques de protection. Il est enfin à noter que l’Hadopi recommande d’ouvrir aux associations de consommateurs le droit de la saisir de demandes d’avis concernant l’interopérabilité.

Si cet avis apporte un éclairage essentiel sur le droit complexe des mesures techniques d e protection, il ouvre également la voie à des recours et des débats, dont on peut présager qu’ils seront longs et passionnés.

Lexing, Droit Propriété intellectuelle

(1) Loi 2006-961 du 1er août 2006, codifiée dans le Code de la propriété intellectuelle.
(2) Avis Hadopi n°2013-2 sur saisine de l’Association VideoLAN du 8-4-2013.
(3) Article L 335-1 du Code de la propriété intellectuelle.
(4) Article L 331-32 du Code de la propriété intellectuelle.

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