Droit à la déconnexion et transformation numérique

Droit à la déconnexion et transformation numériqueS’il n’est pas encore intégré au Code du travail, le droit à la déconnexion a déjà fait l’objet d’expérimentations.

A titre d’exemple, les salariés d’une firme automobile ont bénéficié du dispositif « Mail on Holiday » (« trêve de mails ») proposé par leur employeur, dont la nouveauté consistait en la suppression automatique des méls reçus pendant la période de congés du destinataire, en vue de limiter la surcharge de messages en attente à son retour. D’autres employeurs ont proposé à leurs salariés des Mooc (Massive Open Online Course) afin de les former aux risques de la connexion permanente.

Projet de loi El-Khomri

Si ces initiatives sont encouragées, et encourageantes, elles demeurent néanmoins insuffisantes. Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, plus connu sous le nom de « Projet de loi El-Khomri » (1), prévoit donc d’intégrer le droit à la déconnexion dans le Code du travail, pour en faire un droit effectif, applicable à l’ensemble des salariés, sans distinction.

Intégré au chapitre III consacré à l’adaptation du droit du travail à l’ère du numérique, l’article 25 du projet de loi prévoit de modifier l’article L. 2242-8 du Code du travail. Cette future disposition précise expressément que le but du droit à la déconnexion consiste à respecter les temps de repos et de congés des salariés. C’est en fait le temps de travail des salariés qui va être impacté. En d’autres termes, l’objectif affiché du droit à la déconnexion relève de la protection de la santé des salariés, avec pour finalités sous-jacentes l’amélioration de la qualité de vie au travail et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Les risques de la connexion permanente des salariés

La multiplication et les progrès des technologies de l’information et de la communication (TIC) impactent nécessairement les conditions d’exercice professionnel et le temps de travail.

Les rythmes de travail s’intensifient et la charge de travail augmente puisque les TIC permettent d’être connecté, donc de travailler, en permanence. Il n’est plus nécessaire que le salarié se trouve dans les locaux de l’entreprise.

Quels que soient le lieu et l’heure, le salarié qui dispose d’outils numériques est en mesure de travailler.

Cependant, une telle dématérialisation du lieu de travail n’est pas sans risque. La part de travail effectuée en-dehors des heures de travail risque de l’être à titre gratuit.

L’atténuation grandissante des frontières entre la sphère professionnelle et la sphère privée crée un risque de travail dissimulé, effectué à titre gracieux et sans limite.

La sphère professionnelle envahit la sphère privée, et la santé des salariés en pâtit. La banalisation du phénomène de burn out en est un exemple patent.

A titre d’exemple, 39% des actifs déclarent utiliser les technologies de l’information et de la communication à des fins professionnelles, en-dehors des heures de travail – soir, weekend, vacances. Cette proportion atteint 77% pour les cadres (2).

Les modalités d’utilisation à fins professionnelles des outils numériques accroissent donc la charge de travail et peuvent même créer des cadres de travail non conformes, ressemblant étrangement à des forfaits jours, cachés.

Liens de subordination

On assiste à un renforcement des liens de subordination par un présentéisme numérique accru.

Néanmoins, la qualité du travail n’en est pas pour autant meilleure. Ce harcèlement numérique tend à favoriser le zapping et l’immédiateté dans l’exécution du travail, là où, peut-être, il faudrait prendre davantage de temps pour traiter la question posée.

La démultiplication des risques liés aux modalités d’utilisation des outils numériques à des fins professionnelles a mené à une prise de conscience selon laquelle il est urgent de créer les protections nécessaires à la santé des salariés.

L’introduction du droit à la déconnexion peut être une solution pour limiter ces risques.

L’urgence est telle que le projet de loi El Khomri, qui à l’origine prévoyait d’introduire ce droit dans le Code du travail au 1er janvier 2018, l’a finalement anticipé au 1er janvier 2017. Le droit à la déconnexion des salariés est devenu une priorité.

Les modalités de mise en œuvre du droit à la déconnexion des salariés

Le droit à la déconnexion va imposer un devoir supplémentaire à l’employeur qui devra mettre en place des instruments de régulation des outils informatiques mis à la disposition des salariés.

Plusieurs modalités de mise en œuvre de ces instruments sont prévues.

Négociation collective

Conformément à l’esprit général du projet de loi El Khomri, la priorité est donnée à la négociation avec les partenaires sociaux. Les entreprises disposant d’un délégué syndical devront engager une négociation en vue de déterminer les modalités de mise en œuvre du droit à la déconnexion, adaptées aux besoins des salariés concernés. Le droit à la déconnexion entend ainsi être mis en œuvre de manière co-construite avec les partenaires sociaux.

Charte

A défaut d’accord, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, l’employeur devra mettre en place une charte, élaborée après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel. Cette charte prévoira des formations et des actions de sensibilisation à l’usage des outils numériques, au profit de l’ensemble des salariés. Ainsi, le salarié sera impliqué dans la démarche d’intégration de son droit à la déconnexion. L’engagement du salarié dans la construction de ce droit est sans doute une condition pour rendre l’exercice du droit à la déconnexion effectif.

Implication du salarié

D’ailleurs, le rapport remis par Bruno Mettling à la Ministre du Travail, Myriam El Khomri, en septembre 2015, dédié à l’impact du numérique sur le travail, tend à co-responsabiliser l’employeur et le salarié. Il considère que la déconnexion relève autant de la responsabilité du salarié, lequel doit développer une compétence individuelle de déconnexion, que de l’employeur qui doit assurer la mise en œuvre des instruments de déconnexion. Le droit à la déconnexion constitue donc un enjeu collectif, supposant tant l’implication des employeurs que des salariés.

Enfin, dans les plus petites entreprises, le droit à la déconnexion fera partie intégrante des prérogatives de l’employeur puisque celui-ci devra définir les modalités de mise en œuvre de ce droit et en informer les salariés par tout moyen. A titre d’exemple, l’employeur pourra prévoir des dispositifs de suivi et d’alarme en cas de dépassement du forfait pour les salariés sous contrat de forfait. Il pourra prévoir des dispositifs de configuration par défaut des outils numériques, empêchant au salarié de se connecter en-dehors du lieu et des heures de travail.

Quels que soient les moyens choisis pour mettre en œuvre le droit à la déconnexion, il est urgent d’intégrer ce droit dans le Code du travail, et dans les pratiques quotidiennes des entreprises. Le droit à la déconnexion doit aboutir à une meilleure articulation entre la sphère privée et la sphère professionnelle, afin que la transformation numérique ne soit plus source de risques pour les salariés, mais au contraire, vecteur d’amélioration de la qualité de vie au travail.

Emmanuel Walle
Lexing Droit Social Numérique

(1) Assemblée nationale, Dossier législatif.
(2) Etude annuelle du CREDOC, décembre 2013.

Retour en haut