Bioimpression : quelles responsabilités en cas de dommage ?

Bioimpression : quelles responsabilités en cas de dommage ?La bioimpression, application de la technologie de l’impression 3D au domaine des cellules, interroge le droit.

Bioimpression et droit

La bioimpression intéresse notamment le droit de la propriété intellectuelle, en particulier en ce qui concerne la possibilité de déposer des brevets, en tenant compte des règles spécifiques en matière de brevetabilité du vivant (1 et 2) qui, elles-mêmes, renvoient à des questions d’éthique. Elle intéresse également le droit de la responsabilité des acteurs, en cas de de défectuosité des tissus et organes issus des cellules fabriquées par cette technologie. C’est ce dernier aspect que le présent article aborde.

Présentation de la bioimpression

La bioimpression est la fabrication de structures cellulaires via une machine singulière qui s’apparente aux imprimantes 3D (3). Les cellules imprimées à partir de cellules souches (4) conservent leurs fonctions et demeurent vivantes pendant au moins quelques jours.

Emergeant dans les années 1990 (5), la bioimpression intéresse, en premier lieu, le secteur médical, considéré comme l’un des secteurs les plus demandeurs en matière de fabrication additive à côté de l’aéronautique (6). Elle intéresse également la cosmétique (7). L’intérêt de la bioimpression est de pouvoir créer en masse, à terme, des tissus ou organes, dont les structures sont extrêmement complexes, strictement adaptés à l’anatomie de l’individu (ou de l’animal) auquel ils sont destinés.

Plusieurs techniques sont aujourd’hui utilisées ou à l’étude : impression de jet d’encre, impression par extrusion, impression assistée par laser, stéréolithographie, impression par ondes acoustiques (3).

Des brevets portant sur ces procédés de fabrication sont déposés. A titre d’exemples récents, l’Université américaine de Floride du Sud est titulaire de la demande de brevet international (PCT), publiée le 13 avril 2017, portant sur une « plate-forme à haut rendement permettant la bio-impression de modules tissulaires », fondée sur un brevet américain (8) ; cette même université a également déposé une demande de brevet international, publiée le 23 mars 2017, relative à un appareil de culture et d’interaction avec une culture de cellules tridimensionnelles (9) ; peut également être citée la société américaine Techshot Inc., qui a déposé une demande internationale de brevet, publiée le 9 février 2017, portant sur un système de biofabrication, procédé, et matériel de bioimpression 3D dans un environnement à gravité réduite (10). En France, en particulier et notamment, une demande de brevet international pour une station de bioimpression, ensemble comprenant une telle station de bioimpression et procédé de bioimpression a été publiée en copropriété au nom de l’Inserm et de ses 4 inventeurs (11), fondée sur un brevet européen du 4 mars 2010 en cours d’examen (12 et 13). L’Inserm et l’Université de Bordeaux, dans le prolongement de ce brevet, ont déposé en copropriété deux brevets de procédés d’impression en 2014 (14 et 15).

A l’heure actuelle, il n’est pas encore possible d’imprimer des cellules conduisant à la fabrication de toutes sortes de tissus ou organes vivants permettant ainsi de pallier l’insuffisance des dons d’organes pour les êtres humains, plusieurs problèmes techniques persistant ou étant non ou très partiellement résolus, tels que l’impression de tissus vascularisés ou traversés de nerfs, permettant la fabrication d’organes viables à long terme. En revanche, sont déjà en phase d’exploitation effective, la fabrication de peaux humaines (16) pour les besoins des tests des industries cosmétiques ou pharmaceutiques (17), ainsi que la production de cartilages (18). La bioimpression a également été utilisée pour la fabrication de prothèses biorésorbables de trachées d’enfants (19) et d’adultes (20), ainsi que pour la fabrication de tissu cardiaque intégrant une puce associée à des capteurs (21).

Bioimpression et droit de la responsabilité : état des lieux

Pour le juriste, une des problématiques qu’il convient d’anticiper porte sur l’identification des responsabilités en cas de défectuosité du tissu ou de l’organe obtenus par bioimpression, qui cause un dommage à la personne.

Aujourd’hui, le droit commun français est organisé autour d’un régime de responsabilité contractuelle et de deux systèmes de responsabilité extracontractuelle : la responsabilité pour faute (Code civil, art. 1240 et suivants) et la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux (Code civil, art. 1245 et suivants) pour les produits mis en circulation après le 20 mai 1998, date d’entrée en vigueur de la loi de transposition de la directive du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.

En effet, à titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 1245-17 (anciennement 1396-18) du Code civil prévoit expressément que les dispositions du Code civil relatives à la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux « ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité. Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond ».

En d’autres termes, pour toutes les situations entrant dans le champ d’application de la directive d’harmonisation du 25 juillet 1985, il convient d’appliquer exclusivement son régime spécifique transposé notamment en droit français aux articles 1245 et suivants du Code civil (22), en revanche ce qui est en dehors de son champ d’application, demeure régi par les dispositions de la responsabilité extracontractuelle ou contractuelle du droit national applicable.

Autrement dit, la victime directe ou par ricochet (23) doit donc nécessairement agir sur le fondement du régime spécifique de la responsabilité sans faute, organisé par la directive d’harmonisation du 25 juillet 1985, lorsque le tissu (ou l’organe) obtenu par bioimpression est défectueux, c’est-à-dire lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre (24) et que le dommage causé est un dommage à la personne.

Bioimpression : les acteurs responsables

Contre qui peut-elle agir sur le fondement de ce régime particulier ? La réponse est claire, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2007 : lorsque la victime invoque un défaut de sécurité du produit, elle doit agir exclusivement contre le producteur du produit défectueux, sur le fondement du défaut de sécurité du produit, et ne peut agir, ni contre le fournisseur lorsque le producteur peut être identifié, ni à l’encontre des vendeurs intermédiaires (25).

Concernant les services hospitaliers ou les autres prestataires de services qui utilisent le tissu (ou l’organe) obtenu par bioimpression, en application de la décision de la CJUE du 21 décembre 2011, ces prestataires de services, qui ne sont pas producteurs du produit défectueux, ne relèvent pas du champ d’application de la directive (26).

Cela ne signifie toutefois pas que leur responsabilité ne peut pas être recherchée sur d’autres fondements. Mais si la Cour de cassation et le Conseil d’Etat s’accordent sur ce point, elles ont toutefois dégagé des solutions différentes quant au fondement de la responsabilité de ces prestataires.

Selon la décision de la Cour de cassation du 12 juillet 2012 (27), ces prestataires de soins, s’ils ne sont pas les fabricants du produit défectueux, ne peuvent voir leur responsabilité engagée que pour faute, lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art. Selon la Cour de cassation, ces professionnels de santé ne peuvent pas être assimilés à des distributeurs de produits ou dispositifs médicaux et leurs prestations sont définies comme celles visant essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus appropriés à l’amélioration de leur état. Ce principe a été réaffirmé dans un arrêt du 20 mars 2013 (28).

Cette position est cependant différente de celle retenue par le Conseil d’Etat qui, en 2013, a considéré que l’interprétation donnée par la CJUE de la directive du 25 juillet 1985 « ne fait pas obstacle à l’application du principe selon lequel, sans préjudice des actions susceptibles d’être exercées à l’encontre du producteur, le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise, ce principe trouvant notamment à s’appliquer lorsque le service public hospitalier implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d’un patient », en l’espèce une prothèse du genou (29).

Selon qu’elle doit agir devant les juridictions civiles ou administratives, la victime doit aujourd’hui donc adapter son argumentaire pour engager la responsabilité des services hospitaliers.

Anne-Sophie Cantreau
Lexing Droit des marques

(1) Directive 98/44/CE du 6-7-1998
(2) CPI, art. L. 611-18
(3) Mélanie, « La bio-impression, futur de la médecine sur mesure ? », 3D Natives, 18-5-2017
(4) Cellule souche et présentation des différents types de cellules souches, Définition de l’Inserm  ; voir également Cellule souche, définition sur Wikipédia
(5) Loïc Bardon, « Bio impression 3D : imprimer des organes, bientôt un jeu d’enfant ? », Digitalcorner, 3-2015
(6) « Impression 3D : l’aéronautique et le médical sont les deux secteurs les plus demandeurs », [article et vidéo] Les Echos, 28-6-2017
(7) Communiqué de presse de L’Oréal du 28-9-2016
(8) « Plate-forme à haut rendement permettant la bio-impression de modules tissulaires », Wipo, Patentscope, n° WO/2017/062600, 13-4-2017
(9) « Appareil de culture et d’interaction avec une culture de cellules tridimensionnelle », Wipo, Patentscope, n° WO/2017/049066, 23-3-2017
(10)  « Système de biofabrication, procédé, et matériel de bioimpression 3D dans un environnement à gravité réduite », Wipo, Patentscope, n° WO/2017/023865, 9-2-2017
(11) « Station de bioimpression, ensemble comprenant une telle station de bioimpression et procédé de bioimpression », Wipo, Patentscope, n° WO/2011/107599 , 9-9-2011
(12) Bioprinting station, assembly comprising such bioprinting station and bioprinting method (EP2542659), EPO Demande n° 11707159.7 du 4-3-2011
(13) « Poietis, des tissus biologiques humains à portée de main », Inpi.
(14) Laser printing method, and device for implementing said method (WO2016097619), EPO Demande n° 15837086.6 du 17-12-2015
(15) Method for laser printing biological components, and device for implementing said method (WO2016097620), EPO Demande n° 15831060.7 du 17-12-2015
(16) Roman Ikonicoff, « La construction de tissus humains par imprimante 3D devient une réalité », Science & Vie, 20-2-2016
(17) Frank Niedercorn, « L’impression 3D s’attaque à l’humain » Les Echos, 2015
(18) Jérôme Guicheux, « Réparer le cartilage », Dossier Inserm, nov. 2016
(19) « Une prothèse trachéale créée par impression 3D sauve la vie d’un enfant  », Science & Vie, 19-6-2013
(20) «  Imprimante 3D : des médecins toulousains sont parvenus à fabriquer une prothèse trachéo-bronchique sur mesure  » , FranceSoir, 24-2-2017
(21) Sylvain Biget, «  Le premier tissu cardiaque synthétique et fonctionnel imprimé en 3D  », Futura Sciences, 29-10-2016
(22) CJCE, 25-4-2002, aff. C-52/00, Commission c/ France ; CJCE, 14-3-2006, aff. C-177/04 Commission c/ France
(23) Cass. 1e civ., 28-4-1998, n°96-20421, Bull. civ. I, n°58
(24) C. civ., art. 1245-3
(25) Cass. 1e civ., 15-5-2007, n°05-17947, Bull. civ. I, n°185
(26) CJUE, 21-12-2011, aff. C-495/10, CHU de Besançon c/ CPAM du Jura, D. 2012 p.926
(27) Cass. 1e civ., 12-7-2012, n°11-17510, Bull. civ. I n°165
(28) Cass. 1e civ., 20-3-2013, n°12-12300
(29) CE, 25-7-2013, n°339922, Falempin, JCP 2013, 1079 note Paillard et doctr. 1359 n°2

 

Retour en haut