Erreur de transcription et absence de bonne foi

Erreur de transcription et absence de bonne foiL’erreur de transcription des propos d’une interview empêche le journaliste, tenu à un devoir de surveillance et de rigueur dans la diffusion de l’information, de se prévaloir de l’exception de bonne foi, ainsi que vient de le rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 23 juin 2015 (1).

En l’espèce, les sites lexpress.fr et mediapart.fr avaient chacun diffusé une interview d’une personnalité politique commentant la diffusion dans la presse d’enregistrements de conversations privées entre Mme Liliane B… et M. Patrice Y…, gérant de la société « Clymène », chargée de gérer sa fortune. Mme Florence E…, estimant que des propos diffamatoires avaient été tenus dans ces deux interviews, s’est constituée partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier.

Entre-temps, le journaliste de mediapart.fr reconnaissait une erreur de transcription des propos de la personne interviewée, ne disposant pas de moyens techniques d’enregistrement au moment de l’interview.

Il invoquait donc l’excuse de bonne foi, puisque le sujet portait sur un sujet d’intérêt général, que les questions posées n’avaient pas pour objet de susciter des propos diffamatoires, qu’une simple erreur de transcription ne prouvait pas une intention de dénaturer les propos de l’interviewé, propos qui s’inscrivaient en outre dans le cadre d’autres commentaires proches tenus par la même personne.

Le tribunal a cependant retenu la responsabilité pénale du directeur de la publication et du journaliste du site mediapart.fr. Ces deux derniers, le ministère public, la partie civile ainsi que la personne interviewée sur le site lexpress.fr, ont fait appel du jugement. La personne interviewée s’est désistée de son appel, ainsi que le ministère public et la partie civile à l’encontre de cette dernière.

La Cour de cassation devait dès lors trancher deux points :

  • ce premier désistement du ministère public et de la partie civile emportait-il désistement contre tous les auteurs de propos diffamatoires, en application de l’article 49 de la loi 29 juillet 1881 (2) ?
  • le journaliste peut-il faire valoir l’exception de bonne foi en cas de simple erreur de transcription ?

La Cour passe rapidement sur le premier point, estimant en l’espèce que les deux interviews étant parfaitement distinctes, le désistement de la partie civile contre l’interviewé sur le site lexpress.fr ne valait pas désistement à l’encontre du journaliste et du directeur de publication des propos distincts publiés sur le site mediapart.fr. L’article 49 de la loi du 29 juillet 1881 n’a donc vocation à s’appliquer qu’en cas de propos parfaitement enserrés les uns dans les autres.

S’agissant de la seconde question, rappelons tout d’abord qu’une présomption de mauvaise foi pèse sur le diffamateur, lequel doit donc prouver sa bonne foi, définie par la jurisprudence selon quatre critères cumulatifs : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence dans l’expression et la vérification des sources, la qualité et la fiabilité de l’enquête.

Or, la Cour de cassation, approuvant la cour d’appel, choisit de faire une application stricte de l’exception de bonne foi, et de ne pas l’appliquer au cas du journaliste de Mediapart.

Toutefois, alors que la cour d’appel s’était appuyé sur le critère déjà connu de l’absence de reproduction fidèle des propos rapportés (3), la Chambre criminelle se fonde sur un devoir de surveillance et de rigueur dans la diffusion de l’information, tout en estimant le raisonnement de la cour d’appel conforme à la liberté d’expression, invoqué au travers de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Faut-il voir dans cette formulation différente la volonté de la Cour de cassation de préciser le critère de la reproduction fidèle, s’agit-il de modalités dérivées des quatre critères précédemment évoqués définissant la bonne foi ?

La simple reproduction de propos, même parfaite, ne permettant pas toujours de bénéficier de l’exception de bonne foi (4), on opterait davantage pour la seconde solution.

Afin d’éviter tout risque, il vaut donc mieux que le journaliste vérifie avant publication l’absence de tout risque de diffamation dans l’interview rapportée, quitte à sortir de l’interview directe pour les adapter.

Virginie Bensoussan-Brulé
Piette Chaffenet
Lexing Vie privée et Presse numérique

(1) Crim. 23-6-2015, n° 13-87811.
(2) Loi du 29-7-1881, art. 49.
(3) Crim. 7-10-1997, n° 94-84928.
(4) Crim. 4-12-2007, n° 06-87444 ; Crim. 7-10-1997 n° 94-84928, précitée.

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