Brevet de programme, juge français et pratique de l’OEB

Brevet de programme, juge français et pratique de l’OEBLe Tribunal de grande instance de Paris se prononce sur la brevetabilité d’un programme d’ordinateur.

Faisant une application littérale de l’article L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle et des articles 52(2) et 52(3) de la Convention sur le Brevet Européen, le Tribunal maintient une position stricte et considère que lorsqu’une revendication d’un brevet concerne un programme d’ordinateur, en tant que tel, ladite revendication doit être annulée pour défaut de brevetabilité.

Dans une décision rendue le 18 juin 2015, le tribunal s’oppose donc à la pratique de l’OEB qui admet la brevetabilité des « programmes-produits ».

En l’espèce, la société Orange était titulaire d’un brevet européen délivré depuis le 1er mai 2013 relatif au « basculement de sessions multimédias d’un terminal mobile vers un équipement d’un réseau local ». Ce brevet concernait donc les services multimédias accessibles à la fois sur un terminal mobile et sur des équipements fixes (télévision, ordinateur etc.).

En juin 2013, un concurrent de la société Orange, la société Free a annoncé le lancement de l’application « Freebox Compagnon ». Cette application permettait aux abonnés d’accéder à leur Freebox depuis leurs téléphones ou tablettes et d’en consulter le contenu.

La société Orange estime que cette application est susceptible de reproduire son invention dans la mesure où elle présente une fonction de basculement de sessions multimédia. La société Orange assigne donc en contrefaçon de brevet les sociétés Free et Freebox.

Les sociétés Free et Freebox demandent la nullité du brevet européen d’Orange.

Le Tribunal examine d’abord les revendications n°1 à 11 et considère qu’elles sont nulles pour défaut de nouveauté, autrement dit, elles existaient déjà dans l’état de l’art antérieur.

Le Tribunal examine ensuite les revendications n°12 à 15 pour lesquelles était soulevée l’absence de brevetabilité. Les revendications 12 à 15 sont déclarées nulles faute de porter sur un objet brevetable dans la mesure où elles portent sur un programme d’ordinateur. En effet, l’article 52(2) de la Convention sur le Brevet Européen exclue de la brevetabilité les « programmes d’ordinateur ».

Rappelant qu’il n’est pas contesté que les revendications 12 à 14 concernent un programme d’ordinateur considéré en tant que tel, le Tribunal considère que la rédaction de la revendication, bien que portant sur des « programmes-produits », n’est qu’un « simple artifice de langage » et ne doit pas permettre de délivrer des brevets contra legem. Le Tribunal fait donc une application littérale de l’article 52 de la Convention sur le Brevet Européen qui est « parfaitement clair et ne nécessite aucune interprétation : les programmes d’ordinateurs en tant que tels sont exclus de la brevetabilité ».

Le Tribunal français maintient donc sa position stricte et refuse de se plier à la pratique de l’Office Européen des Brevets (OEB) qui consiste à admettre la brevetabilité de certaines revendications portant sur les « programmes-produits ».

Enfin, le Tribunal examine la revendication n°15 qui inclue un programme d’ordinateur. Le Tribunal refuse d’analyser cette revendication au regard de l’article 52 (3) de la Convention sur le Brevet Européen qui permet de ne pas exclure de facto les revendications incluant des éléments non-brevetables en tant que tels (comme les programmes d’ordinateur). Jugeant que la rédaction de la revendication n°15 n’est qu’ « un habillage » et qu’elle porte en réalité sur un programme d’ordinateur qui ne produit aucun effet technique supplémentaire, le Tribunal l’annule au visa de l’article 52 (2).

Le brevet de la société Orange est donc invalidé et son action en contrefaçon à l’encontre des sociétés Free et Freebox n’a plus de fondement puisqu’il n’y a plus de droit de propriété intellectuelle violé.

Dans cette décision, la jurisprudence française s’oppose donc à la pratique de l’OEB qui consiste à admettre la brevetabilité des « programmes-produits » et va jusqu’à la qualifier de « contra legem ». Cette position particulièrement rigoureuse pourrait disparaître lorsque le contentieux relatif aux brevets européen sera traité exclusivement par la juridiction unifiée des brevets.

Marie Soulez
Clémence Delebarre
Lexing Contentieux Propriété intellectuelle

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