Contrefaçon sur internet et compétence des juridictions françaises

Contrefaçon sur internet et compétence des juridictions françaisesEn matière de contrefaçon, dès lors que le site internet est accessible en France, les juridictions françaises sont compétentes. Toutefois, cette compétence est limitée au seul dommage causé sur le territoire français. 

Les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour se prononcer sur les éventuels préjudices subis dans les autres Etats membres.

Monsieur P., se réclamant auteur, compositeur et interprète de douze chansons enregistrées par le groupe Aubrey Small reproduites sur CD puis commercialisées sans son autorisation sur des sites internet anglais accessibles depuis son domicile toulousain, a assigné la société autrichienne éditrice KD Mediatech AG devant le Tribunal de grande instance de Toulouse en contrefaçon pour voir reconnaître l’atteinte à ses droits d’auteur et droits voisins.

La Cour d’appel, saisie par la société autrichienne, avait infirmé la décision du Tribunal de grande instance de Toulouse qui s’était déclaré compétent, relevant que le lieu du défendeur était situé en Autriche et que le lieu de réalisation du dommage était en Grande-Bretagne.

L’affaire se poursuit devant la Cour de cassation, laquelle a saisi la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles. Cette dernière par arrêt du 3 octobre 2013 précise « qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’Etat membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d’une action en responsabilité introduite par l’auteur d’une œuvre à l’encontre d’une société établie dans un autre Etat membre et ayant, dans celui-ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu par des sociétés établies dans un troisième Etat membre , par l’intermédiaire d’un site accessible également dans le ressort de la juridiction saisie; que cette juridiction n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre dont elle relève ».

C’est cette position qu’adopte la Cour de cassation, le 22 janvier 2014, pour déclarer les tribunaux français compétents, non seulement dans l’affaire ayant donné lieu à la question préjudicielle mais également dans un second arrêt rendu le même jour. Dans cette seconde affaire, les œuvres d’un photographe avait fait l’objet d’une reproduction sans son autorisation, suite à la diffusion sur YouTube d’extraits d’un documentaire initialement diffusé sur la chaîne britannique BBC.

Cette solution repose sur une lecture extensive de la notion de « fait dommageable » visée à l’article 5 point 3 du règlement du Conseil du 22 décembre 2000 en matière de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution de décisions, en matière civile et commerciale. Cet article dispose « qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre: en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

Ainsi, « le lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » ne s’entend pas uniquement du lieu où le fait dommageable a été réalisé mais également du lieu où le préjudice peut être ressenti.

En l’espèce, dans la mesure où les sites internet étaient accessibles en France, les tribunaux français étaient donc compétents.

Cette solution n’est pas nouvelle et suit une jurisprudence déjà établie. Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 25 octobre 2011 (CJUE, 25-10-2011, aff.C-509/09, eDate Advertising) a précisé que « la règle de compétence spéciale prévue, par dérogation au principe de la compétence des juridictions du domicile du défendeur, à l’article 5, point 3, du règlement nº 44/2001 (…) est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès ».

L’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit» vise à la fois le lieu de l’événement causal et celui de la matérialisation du dommage.

Marie Soulez
Josephine Weil
Lexing Contentieux Propriété intellectuelle

Retour en haut