Dénigrement malgré l’absence de rapport concurrentiel

rapport concurrentielL’application mobile Yuka, permettant de scanner les produits alimentaires et dénombrant près de 12 millions d’utilisateurs, a été condamnée en référé le 5 mars 2020 par le tribunal de commerce de Versailles des suites de la publication d’un article litigieux.

En l’espèce, Yuka avait publié sur son blog un article présentant les avantages et les inconvénients des emballages alimentaires. Or, la Fédération française des industries des aliments conservés (FIAC) a estimé que cet article créait un amalgame entre l’aluminium, produit nocif pour la santé humaine, et les boîtes de conserves alimentaires. Pour autant, la Fiac n’est pas un concurrent de l’application Yuka.

La caractérisation du dénigrement

Malgré l’absence de rapport concurrentiel entre les parties, le tribunal de commerce a cherché à caractériser le dénigrement au sein de l’article publié par Yuka sur son blog.

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur un produit ou un service. Tel est notamment le cas lorsque les propos tenus manquent de mesure dans l’expression, et ne sont pas étayés par une base factuelle suffisante.

En l’espèce, le tribunal a considéré que « la tonalité des propos contenus dans le blog manque de mesure par une généralisation abusive relative à tous les emballages dans lesquels les aliments sont conservés ; que l’information transmise par l’article litigieux manque aussi de base factuelle suffisante, qu’elle se fonde sur une source unique, laquelle est citée à mauvais escient et interprétée de manière extensive ».

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante, laquelle n’hésite pas à entrer en voie de condamnation lorsque les termes véhiculés par le message sont exclusifs de toute prudence (1), ou lorsque le message a pour objet d’alléguer la dangerosité d’un produit (2).

Rapport concurrentiel : une condition indifférente pour caractériser le dénigrement

L’apport essentiel de cet arrêt se situe sans doute dans la précision apportée par les juges consulaires, affirmant que le dénigrement est caractérisé malgré l’absence de rapport concurrentiel entre les parties.

En effet, le tribunal considère que les propos en cause sont bien constitutifs de dénigrement, quand bien même les deux parties ne sont pas des concurrents. Pour justifier leurs propos, les juges invoquent un précédent arrêt de la Cour de cassation, affirmant que « la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par une partie sans lien de concurrence peut constituer un acte de dénigrement, à moins que l’information ne se rapporte à un sujet d’intérêt général, qu’il repose sur une base factuelle suffisante et qu’il s’exprime avec une certaine mesure » (3).

La solution n’est donc pas nouvelle, mais permet d’être soulignée. En effet, bien que le dénigrement relève de la concurrence déloyale, celui-ci ne nécessite pas forcément que soient mis en cause deux concurrents pour être caractérisé. Le discrédit public jeté sur une personne physique ou morale peut donc l’être par toute personne, quand bien même il n’existerait aucun rapport concurrentiel entre elles.

Alexandra Massaux
Lexing Technologies émergentes Contentieux
Cyrielle Girard-Berthet
Auditrice de justice de la promotion 2020
Ecole Nationale de la Magistrature

(1) Cass. com. 23-10-1984, n° 83-11.506 ; Cass. 2e civ. 8-4-2004, n° 02-17.588 ; Cass. 1e civ. 5-7-2006, n° 05-16.614 qualifiant un vin de « picrate à peine buvable » : D. 2006, p. 1040, obs. Massis.
(2) Cass. com. 13-1-2009, n° 08-12.510 : dans cette affaire, le Conseil de la concurrence a considéré qu’une société avait adopté un comportement de nature à entraver l’entrée de concurrents sur le marché, susceptible de constituer un abus de position dominante, et ce notamment en dénigrant le produit (alléguant de sa dangerosité) que s’apprêtait à commercialiser un de ses concurrents.
(3) Cass. com. 12-2-2008, n° 06-17.501 ; Cass. com. 30-5-2000, n° 98-15.549 ; Cass. com. 25-1-2000, n° 97-19.957 ; Cass. com. 21-11-2000, n° 98-17.478.

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