Droit informatique : la protection des logiciels dans les années 80

la protection des logiciels Le droit informatique est né dans les années 80, marqué par la question de la protection des logiciels.

Si la décision Babolat constitue, en 1978 le fondement de la protection des logiciels la Cour de cassation ayant jugé qu’un programme d’ordinateur est une œuvre de l’esprit originale (1), la bataille juridique pour leur conférer la protection par le droit d’auteur n’en était pas pour autant réglée.

Comment protéger cette nouvelle forme de création ?

Le début des années 80 est en effet marquée par la préoccupation de protéger cette nouvelle forme de création. Elle constituait, pour les uns une œuvre de l’esprit, pour les autres, un bien immatériel indigne d’être élevé à un tel rang.

Ainsi, en février 1981, Alain Bensoussan écrivait dans un article publié dans « Expertises », l’une des premières revues consacrée au droit informatique qu’il avait intellectuellement contribué à créer avec son fondateur, le regretté Daniel Duthil : « la croissance exponentielle de l’informatique dans l’ensemble des secteurs de l’économie s’accompagne nécessairement d’effets pervers. Parmi ces dérèglements la délinquance informatique commence à prendre une place notable. La forme la plus courante est constituée par le pillage des programmes et le détournement d’informations » (2).

Certains doctriniens prônaient la protection de l’effort économique, plutôt que celui de l’effort créatif, par le biais du droit de la concurrence, considérant, à l’époque, que la protection était, « théoriquement possible par le droit d’auteur, en réalité illusoire » et que « pour assurer une réelle protection au logiciel , il est vain de chercher à créer je ne sais quel droit de propriété lié à un effort créatif ou inventif » (3). D’autres, comme Alain Bensoussan, favorisent la protection par le droit d’auteur (4).

Une jurisprudence encore incertaine

La jurisprudence est encore incertaine puisque le 20 février 1985, la Cour d’appel de Paris dénie la protection par le droit d’auteur à un jeu vidéo, au motif notamment que celui-ci est dénué de tout mérite esthétique. Cet arrêt sera infirmé par la Cour de cassation le 7 mars 1986, confirmant ainsi une tendance de plus en plus marquée vers une protection en tant qu’œuvre de l’esprit (5).

Précédemment, le 4 juin 1984, la Cour d’appel de Paris avait également refusé cette protection au célèbre jeu vidéo de la société Atari aux motifs :

  • « qu’on ne saurait assimiler à une œuvre de l’esprit la création de logiciels, qu’il s’agisse du concept ou des analyses, même lorsque ces derniers ont pour objet l’élaboration d’un jeu ;
  • qu’on ne peut étendre la protection pénale aux méthodes en matière de jeu ni aux programmes d’ordinateurs ;
  • que quelle que soit la complexité technique, surtout aux yeux d’un profane, d’un logiciel il s’agit en définitive d’un assemblage technologique qu’il n’y a pas lieu de sacraliser au point de le hisser au rang des œuvres de l’esprit prévues par la loi de 1957 précitée ;
  • que les éléments d’un jeu électronique comme d’un ordinateur relèvent en fait de la structure d’un simple objet industriel ;
  • qu’on ne saurait non plus sur le plan du droit français assimiler le jeu électronique à une œuvre audiovisuelle, sous le prétexte que les éléments spécifiques au jeu se déplacent sur l’écran avec une succession d’images et de bruits pouvant capter l’attention du joueur ;
  • qu’il n’y a donc pas à ce titre protection possible ;
  • qu’enfin aucune originalité de l’expression de nature à conférer au jeu un caractère esthétique digne des préoccupations du législateur ne peut être relevée en l’espèce ; que les déplacements des modules ne traduisent pas une impression particulière sur le plan esthétique qui mériterait la protection due à une œuvre ».

Cette décision fera également l’objet d’un arrêt de cassation plénière, le 7 mars 1986 (6).

Un droit en construction

Après être passée en première lecture au Sénat en 1983, la loi consacrant la protection des logiciels est adoptée le 3 juillet 1985 en créant, par ailleurs, le droit voisin des artistes interprètes. Le droit informatique était né.

Conscient des enjeux économiques de ces créations intellectuelles à caractère utilitaire, le législateur apporte des aménagements au droit d’auteur traditionnel tel le droit de copie de sauvegarde au lieu du droit à la copie privée, la dévolution des droits des salariés à l’employeur, les droits des titulaires d’une licence.

Tous les problèmes ne seront pas résolus pour autant. En effet, comme le relève Alain Bensoussan dans l’un de ses commentaires de la loi, « le terme employé utilisé par le législateur pour défendre la création informatique dans une entreprise présente une certaine ambiguïté. Dans un sens restreint, il vise uniquement les salariés de l’entreprise. Par contre et dans un sens extensif, il peut correspondre à toute personne physique à laquelle est confiée une mission de réalisation de logiciel et ce indépendamment du mode de rémunération et du statut économique (salarié ou travailleur indépendant) » (7).

L’avenir lui donnera raison car le cabinet interviendra par la suite dans plusieurs litiges relatifs à des créations d’employés au sens large du terme.

Fort de ces expériences, il publiera en 1993 dans la collection des « Guides juridiques Alain Bensoussan », l’ouvrage « Le contrat de travail de l’informaticien » aux éditions Hermès.

Et encore en 2009, la Cour de cassation était amenée à se prononcer sur la création d’un logiciel par un stagiaire, rappelant à cet égard qu’un stagiaire est le seul auteur de l’œuvre originale qu’il a créée dans le cadre de son stage, la loi n’entraînant le transfert de droits de l’auteur à l’employeur que pour les inventions de salariés (8).

La suite de l’histoire montrera que l’évolution des technologies apportera son lot de nouvelles problématiques, mais l’apport de la loi du 3 juillet 1985 a été majeur dans la création du droit informatique.

Notes

(1) Cass. Ass. plén. n° 83-10477 du 7-3-1986 (BABOLAT).
(2) A. Bensoussan, « Le vol des programmes et des fichiers, un grand malentendu » , Expertises n°27, février 1981, pp. 15-17.
(3) Philippe Le Tourneau, « Variations autour de la protection du logiciel », Gazette du Palais du 6-7-1982, p 370.
(4) A. Bensoussan, « Droit d’auteur et logiciels », 01 Informatique, octobre 1982, n°163 pp 108-109 (1re partie) et novembre 1982, n° 164, pp 92-93 (2e partie).
(5) Cass. Ass. plén. n° 85-91465 du 7-3-1986, Williams Electronics c Claudie Presotto-Tel SA JEUTEL.
(6) Cass. Ass. plén. n°84-93.509 du 7-3-1986, société Atari.
(7) A. Bensoussan, « La protection des logiciels après la réforme du 3 juillet 1985 », Gazette du Palais du 13-5-1986.
(8) Cass. crim. n° 07-87253 du 27-5-2008.

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