economie juridique/ JP 63

Economie juridique

L’évaluation des préjudices dans le projet de loi de lutte contre la contrefaçon

La possibilité d’accorder une indemnisation forfaitaire du dommage

Le projet de loi de lutte contre la contrefaçon, déposé au Sénat le 12 février 2007 (1), vise notamment à transposer en droit français la directive européenne sur le respect des droits de propriété intellectuelle (2) et prévoit d’introduire plusieurs mesures relatives à l’évaluation et à la preuve du préjudice résultant d’actes de contrefaçon, dans le cadre des procédures judiciaires. Les dispositions prévues en matière d’évaluation de préjudices sont les mêmes pour tous les domaines de la propriété intellectuelle (brevets, marques, propriété littéraire et artistique, etc.) et comportent des innovations importantes pour le droit français de la responsabilité civile, comme le souligne l’exposé des motifs du projet. Conformément à la Directive, elles donneraient en effet au juge la possibilité d’accorder une indemnisation forfaitaire à la victime d’un dommage résultant d’une contrefaçon, dans les cas « appropriés ». Jusqu’à présent l’évaluation forfaitaire était considérée comme incompatible avec le principe de la réparation intégrale des dommages, qui découle de l’article 1382 du Code civil et constitue l’un des fondements de notre droit de la responsabilité civile. La réparation vise à replacer la victime dans la situation qu’elle aurait dû connaître si elle n’avait pas subi le dommage, sans perte ni profit. Une évaluation forfaitaire ne permet pas d’atteindre cet objectif dès lors qu’elle est par définition sans lien direct avec le dommage réel. L’évaluation forfaitaire des dommages est régulièrement sanctionnée par la Cour de cassation (3).

L’enjeu

    Ce texte donnerait au juge la possibilité d’accorder, dans certains cas, à titre d’alternative, une indemnisation forfaitaire à la victime d’un dommage résultant d’une contrefaçon.

Cette indemnité ne pourrait être inférieure « au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il porte atteinte » et n’aurait pas de limite supérieure. Les modalités de calcul de ce montant ne sont pas précisées, et il pourrait s’avérer en pratique aussi délicat à chiffrer que le préjudice réel de la victime, dont il constitue souvent l’une des principales composantes. En effet, ce montant ne peut être évalué sans disposer d’informations que l’auteur de la contrefaçon est généralement le seul à détenir. Le projet innove à cet égard en prévoyant de donner au juge la possibilité d’ordonner au contrefacteur de produire les informations sur les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et sur les prix obtenus. Le juge devra prendre en considération, pour son évaluation, lorsqu’elle n’est pas forfaitaire, tous les « aspects appropriés ». Trois éléments d’appréciation sont cités à ce titre, de manière non limitative : les conséquences économiques négatives pour la victime (manque à gagner), les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur, et, s’il y a lieu, le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte.Ces éléments d’appréciation sont déjà utilisés par les juridictions. Ces précisions permettront cependant aux demandeurs de mieux cibler leurs prétentions et pourraient avoir un effet dissuasif sur les auteurs de contrefaçons.

Les principes

    Cette dérogation au principe de la réparation intégrale aurait pour effet de limiter la portée d’un autre principe de la responsabilité selon lequel celui qui demande la réparation d’un dommage doit en rapporter la preuve.


(1) www.alain-bensoussan.com/pages/1067
(2) Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004
(3)Cass. civ. 8 juin 2006, pourvoi n°04-19069

Paru dans la JTIT n°63 p.8

Retour en haut