Fin de la théorie du ciseau tarifaire dans l’affaire Orange Caraïbes

On se souvient que, le 9 décembre 2009, l’Autorité de la concurrence avait condamné les sociétés Orange Caraïbes et France Télécom à hauteur de 63 millions d’euros, à la fois pour entente et abus de position dominante, sur le fondement des articles 81 et 82 du Traité, devenus depuis les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il était reproché aux sociétés d’avoir mis en oeuvre une série de pratiques ayant eu pour objet ou pour effet de réduire les possibilités d’entrée sur le marché et le développement d’opérateurs concurrents.

Ces pratiques consistaient notamment en :

  • la signature d’accords d’exclusivité avec des distributeurs indépendants ;
  • l’insertion de clauses d’exclusivité avec l’unique réparateur agréé de terminaux mobiles dans la zone Caraïbes ;
  • la mise en place d’un programme de fidélisation obligeant les abonnés souhaitant utiliser leur capital de points de fidélité à se réengager pour une durée longue, augmentant par cette occasion la mobilité des abonnés et de facto, les possibilités d’installation d’un nouveau concurrent ;
  • des pratiques de différenciation tarifaire entre les appels passés sur le réseau d’Orange Caraïbes et les appels passés à destination d’un autre réseau concurrent.
  • Il était reproché également à la société France Télécom d’avoir mis en oeuvre des pratiques de ciseau tarifaire favorisant sa filiale Orange Caraïbes au détriment de ses concurrents, alors qu’Orange Caraïbes bénéficiait à l’époque d’un monopole de fait, retardant ainsi le développement de la concurrence sur le marché géographique.

    La Cour d’appel ne remet pas en cause le principe de la condamnation mais écarte l’application du droit européen. En effet, la Cour d’appel de Paris rappelle que l’applicabilité du droit européen suppose la réunion de trois conditions cumulatives, telles qu’énoncées dans la Communication de la Commission européenne :

  • l’existence d’échanges entre Etats membres portant sur les produits ou les services faisant l’objet de la pratique ;
  • l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges ;
  • le caractère sensible de cette affectation et, s’agissant de conditions aggravant potentiellement la répression, la Cour rappelle qu’elles sont d’interprétation stricte. Or, la Cour d’appel considère qu’aucun des critères n’est rempli en l’espèce.
  • Par ailleurs, la Cour écarte également l’application de la théorie du ciseau tarifaire, considérant qu’il aurait fallu, pour que le grief soit établi en l’espèce :

  • soit relever que les pratiques de France Telecom avaient eu pour résultat de rendre indispensable, pour les opérateurs de téléphonie fixe souhaitant présenter à leurs clientèles des prestations relatives aux appels fixes vers mobiles, l’interconnexion directe aux réseaux de téléphonie mobile de la filiale de France Telecom ;
  • soit que, dans le cas où des possibilités de reroutage existaient, que les pratiques de ciseau tarifaire avaient eu ou pu avoir pour effet d’entraîner des pertes pour des concurrents aussi efficaces qu’elles sur le marché des appels fixes vers mobiles.
  • En conséquence de quoi, la Cour d’appel de Paris annule la sanction en ce qu’elle était relative au grief de ciseau tarifaire.

    CA Paris 23-9-2010 n° 2010/00163 Digitel, France Telecom et Orange Caraïbe c./ Outremer Telecom

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