La publicité clandestine et les secteurs réglementés

La publicité qui se dissimule sous les apparences d’un article ou d’une émission à visée non commerciale, est une publicité clandestine, au sens courant du terme.

Ce qualificatif n’est toutefois employé que dans le domaine audiovisuel, en présence de citations ou de représentations estimées trop insistantes et complaisantes de marques de produits ou de services en dehors des séquences publicitaires clairement annoncées en tant que telles.

Le qualificatif d’« illicite » est préféré lorsque la publicité critiquée concerne des produits dont la communication est soit interdite, soit réglementée, ce qui peut faire faire oublier cette notion de « publicité clandestine », et considérer faussement que la faute reprochée consiste exclusivement à avoir enfreint les règles applicables à la publicité du produit en cause.

Il est pourtant essentiel de bien distinguer ces deux notions, puisque si l’article critiqué ne peut pas être qualifié de « publicité », la question de sa conformité aux textes relatifs à la publicité du produit concerné n’a pas à être examinée, puisqu’ils ne lui sont pas applicables.

Il est également essentiel de respecter l’ordre dans lequel ces notions doivent être abordées, pour éviter d’aboutir à des conclusions surprenantes au regard des notions de publicité et de publicité clandestine.

Dans un arrêt en date du 3 novembre 2004, la Cour de Cassation a approuvé la condamnation, par la Cour d’appel de Paris (1), de la société Filipacchi et du directeur de la publication du mensuel « Action Auto Moto », à une amende de 30 000 euros et à verser une somme de 1 000 euros à l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et en Addictologie (ANPAA) pour avoir publié un reportage qui a été qualifié de publicité illicite en faveur de deux marques de boissons alcooliques.

La photographie, critiquée par l’ANPAA, représentait Michael Schumacher sur un podium à l’occasion de sa victoire au Grand Prix de Formule 1 d’Australie, en ce qu’elle laissait apparaître le logo et la marque de bière Foster, sponsor de cette manifestation sportive, et deux bouteilles de champagne, accompagnées de la mention en gros caractères « Mumm, champagne ».

L’ANPAA a fait valoir, entre autres arguments, « que le droit à l’information du public sur l’existence de la course et ses résultats ne peut justifier qu’il soit, par ce biais, contrevenu aux dispositions sur la publicité en faveur des boissons alcooliques et qu’il appartenait au directeur de la publication de refuser de publier une telle photographie ».

Les prévenus ont, quant à eux, soutenu que la photographie incriminée ne peut pas être qualifiée de publicité, faute de comporter un quelconque renseignement sur les boissons de marques Foster et Mumm, et d’avoir été publiée à l’initiative et/ou aux frais des fabricants de ces produits, et que la publication n’a pas eu d’autre but que d’illustrer un reportage sur un évènement sportif ».

Cette thèse a été écartée par la Cour d’appel de Paris, qui a estimé être en présence d’une publicité indirecte en faveur des boissons des marques précitées, du fait du rappel de ces produits et de leurs marques « (…) peu important que le but recherché par la publication litigieuse n’ait pas été la promotion de ces produits mais l’illustration d’un reportage sur le grand prix automobile de Melbourne, et que le magazine concerné n’ait reçu aucune contrepartie financière (…) ».

Elle en a déduit qu’il s’agissait d’une opération de parrainage interdite par l’article L 3323-2 du Code de la santé publique, qui prévoit que « toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques ».

Le seul rappel des marques du sponsor dans un article d’information sur un fait d’actualité est donc suffisant pour faire de cet article une annonce publicitaire en faveur des produits du sponsor.

Cette décision est d’une grande sévérité, dans la mesure ou le texte précité, applicable à « la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques (…) » n’interdit pas le parrainage dans ce secteur réglementé, mais le soumet à des conditions, qui ont été jugées satisfaisantes, en l’espèce, par la Cour d’appel de Paris.

Or, la mention des marques et de la dénomination du sponsor d’un évènement dans les articles et les émissions qui lui seront consacrés par la presse constitue la cause de sa contribution financière audit évènement, et est, de ce fait, indissociable de la notion même de parrainage.

L’article L 3323-2 précité du Code de la santé publique se trouve donc quelque peu méconnu, via une interprétation, au demeurant implicite, qui aboutit à lui faire interdire toute forme de parrainage, ce qu’il ne fait pourtant pas.

Une définition préalable des notions de publicité et de publicité clandestine aurait permis d’aborder l’interprétation à retenir de ce texte d’une manière moins politique et plus juridique.

La Cour de cassation n’a pas corrigé cette situation, et a même été au-delà du raisonnement de la Cour d’appel, ce qui l’a conduite à retenir une définition surprenante de la notion de publicité en faveur de boissons alcooliques.

Dans son arrêt du 3 novembre 2004, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a déclaré que la « publicité illicite » dans le domaine des boissons alcooliques englobe « tout acte en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique sans satisfaire aux exigences de l’article L 3323-4 du Code de la santé publique. » (2).

A s’en tenir à cette définition, tout article, émission, reportage, série évoquant une ou plusieurs boissons alcooliques, sous quelque forme que ce soit et surtout à quelque titre et pour quelque finalité que ce soit, revêt un caractère publicitaire et son contenu doit donc être conforme aux dispositions de l’article L 3323-4 du Code de la santé publique.

L’objectif publicitaire est en effet présumé de façon irréfragable par la représentation d’une boisson alcoolique, quels que soient le contexte de cette représentation et le sujet traité par son initiateur, et la seule manière d’évoquer une boisson alcoolique est donc d’en faire la publicité.

Le débat sur l’existence de cet objectif publicitaire n’aura donc pas lieu dans ce secteur économique, puisque l’issue en est connue d’avance.

Ce débat est pourtant indispensable à la préservation de la liberté d’expression qui doit admettre le droit de citer ou de représenter des produits ou services, c’est à dire des éléments qui participent à la vie économique, sous la seule et unique réserve de ne pas transgresser des interdictions précises et dénuées d’ambiguïté, prévues par des textes législatifs ou réglementaires.

Ces considérations ne sont pas prises en compte dans le domaine des boissons alcooliques, comme en attestent d’autres décisions rendues dans des affaires similaires à la demande de l’ANPAA.

Le Tribunal de grande instance de Paris a condamné, le 26 juin 2007, le quotidien « Les Echos » pour avoir publié, dans deux suppléments gratuits intitulés « Serie Vin », des pages qui ont été qualifiées de publicités illicites, au motif qu’elles ne comportaient pas le message sanitaire devant obligatoirement figurer sur les publicités consacrées à une boisson alcoolique.

Le quotidien Les Echos a contesté la nature publicitaire conférée aux illustrations des pages de garde de ses suppléments, en faisant valoir qu’elles « ne présentent aucun produit particulier et qu’aucun espace n’a été vendu par le journal à un quelconque fabricant ou négociant de champagne ou de vin ».

L’ANPAA s’est limitée à invoquer la définition adoptée trois ans auparavant et à décrire les représentations critiquées, sans relever les différences caractérisant ce cas d’espèce particulier par rapport à celui de l’affaire concernant le magazine Action Auto Moto : absence de toute dénomination, marque ou logo sur les pages de couvertures critiquées et absence de toute opération de parrainage.

Le Tribunal a fait droit aux demandes de l’ANPAA et a franchi un nouveau pas vers une acception plus large de la notion de « publicité », en ce sens que la mise en avant d’une marque ou d’une enseigne n’est pas exigée.

La visée promotionnelle a toutefois été réintroduite, de manière au moins formelle dans cette définition.

    « Attendu que la publicité est l’action, le fait de promouvoir la vente d’un produit en exerçant sur la public une influence, une action psychologique de nature à créer en lui des besoins, des désirs ; qu’une action publicitaire ne porte pas nécessairement sur une marque, un fabricant ou un négociant, mais peut avoir pour objet de promouvoir un produit dans sa généralité, tel le vin ou le champagne ; que, dans ces conditions, toute photographie, de nature à inciter le lecteur à consommer une boisson alcoolique constitue une publicité qui, comme telle, doit être soumise aux dispositions de l’article L3323-4 du code de la santé publique » (3).

Les deux couvertures suivantes ont donc été qualifiées de publicités illicites :

  • la page intitulée « Vins et champagnes : les nouvelles stars » et montrant un verre empli d’une boisson évoquant le champagne ;
  • la page intitulée « De la vigne au verre, le temps des femmes » et montrant une jeune femme tenant à la main un verre de vin.

Une décision identique a été prononcée le 20 décembre 2007 par cette même juridiction, au sujet de la première page d’un quotidien titrant « Le triomphe du champagne », montrant une flûte emplie de champagne et suivie de pages présentant divers champagnes de marque sous des intitulés du type « Quatre bouteilles de rêve », ou « Esthétique et créatif », etc.

Le tribunal s’est référé à la définition de la publicité retenue par la directive n° 84- 450 du 10 septembre relative à la publicité trompeuse (4).

Il a jugé « que ces communications constituent en conséquence des publicités sans pour autant que soit exigé un achat effectif d’espaces publicitaires au regard de la directive précitée, qu’elles sont en effet réalisées dans le cadre d’une activité commerciale tant du quotidien « Le Parisien » que des producteurs de champagne et qu’elles sont en outre destinées à promouvoir la vente d’une boisson alcoolique en exerçant sur le lecteur une action psychologique de nature à l’inciter à la consommation, de sorte qu’elles auraient dû respecter les prescriptions du code de la santé publique et être en particulier assorties du message sanitaire prescrit par la loi… » (5).

Dans un arrêt prononcé le 4 mai 2004, la cour de cassation avait approuvé la condamnation de la société L’Equipe, par la Cour d’appel de Paris, à une peine d’amende de 10 000 euros et au paiement d’un somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au CNCT (6), pour avoir diffusé une publicité illicite en faveur du tabac en publiant des photographies de vainqueurs de grands prix de Formule 1 faisant apparaître des marques de cigarettes (7).

La cour d’appel (8) a jugé que « (…) la diffusion de photographies représentant complaisamment des véhicules et des pilotes sur lesquels apparaissent des marques de fabricants de tabac constitue une incitation à la consommation des produits du tabac » et que « toute utilisation d’une marque de cigarettes, qu’elle qu’en soit sa finalité, constitue une publicité en faveur du tabac, l’article L 3511-3 du Code de la santé publique faisant obstacle à toute diffusion d’écrit, d’image ou de photographie participant à la promotion du tabac. »

Cette assimilation, de toute mention ou référence à une marque de tabac, à une publicité en faveur du tabac, est manifestement excessive, puisque la publicité se définit par sa finalité et que cette finalité est déclarée inopérante par la cour de cassation.

Il convient d’observer qu’elle a manifestement inspiré la définition retenue quelques mois plus tard de la publicité en faveur des boissons alcooliques par la cour de cassation dans la première affaire évoquée ci-dessus, ce qui est critiquable, selon nous, à deux titres :

  • la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac est interdite par l’article L 3511-3 du Code de la santé publique en dehors des débits de tabac, alors que la propagande et la publicité en faveur des boissons alcooliques est autorisée sous certaines conditions ;
  • l’assimilation de la mention d’une marque ou de la représentation d’un produit à une publicité illicite ne peut donc valoir que pour le tabac, et non pour les boissons alcooliques.

Le caractère systématique de cette assimilation fait l’impasse sur la vérification de la finalité publicitaire de la mention ou de la représentation critiquée, qui doit, en toute logique, être menée avant d’examiner, si les résultats de cette vérification le justifient, la conformité de ladite mention ou représentation aux textes régissant la publicité du produit concerné.

Le respect de ces étapes du raisonnement doit être mené dans des affaires de ce type et la distinction doit être opérée entre la notion de publicité clandestine et celle de publicité illicite ; ceci étant le seul moyen permettant d’éviter de réserver un sort identique à des situations différentes.

Alain Bensoussan Avocats

(1) CA Paris 13e ch. sect. B 5-2-2004
(2) Cass. crim. 3-11-2004 n° 04-81123
(3) TGI Paris 4e ch. 1e sect. 26-6-2007 n° 06/00193
(4) Directive 84/450/CEE du 10-9-1984, art.2
(5) TGI Paris 4e ch. 2e sect. 2-12-2007
(6) Comité National de lutte contre le tabagisme
(7) Cass. crim. 4-5-2004 n° 03-84894
(8) CA Paris 13e ch. 17-6-2003

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