Le marché de la vente événementielle en ligne est-il pertinent ?

vente événementielleSelon la Cour de cassation, le marché de la vente événementielle en ligne ne constitue pas un marché pertinent au sens du droit de la concurrence.

En effet, par un arrêt du 6 décembre 2017 (1), la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 mai 2016 (2) selon lequel la société Vente-Privée ne se trouve pas dans une situation de position dominante.

Contexte

Le litige opposait la société Brandalley à la société Vente-Privée, toutes deux spécialisées dans la vente événementielle en ligne.

Plus précisément, la société Brandalley reprochait à la société Vente-Privée d’imposer aux grandes marques de distribution une clause d’exclusivité leur interdisant de proposer les stocks invendus à leurs concurrents.

Rappel du cadre légal

Conformément aux dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité pour le Fonctionnement de l’Union Européenne, pour démontrer l’existence d’un abus de position dominante il convient d’établir l’existence des éléments suivants :

  • un marché pertinent dont les produits et services ne sont pas substituables par d’autres produits ou services ;
  • l’existence d’une position dominante sur ce marché par l’acteur en question ;
  • l’existence d’un abus de cette position dominante.

Faits et procédure

C’est dans ce contexte que la société Brandalley a saisi l’Autorité de la concurrence, estimant en premier lieu que le marché de la vente évènementielle en ligne constituait un marché pertinent, sur lequel Vente-Privée abuserait d’une position dominante, dans la mesure où celui-ci se distinguait des autres marchés par plusieurs spécificités :

  • un niveau de prix très attractif ;
  • le caractère confidentiel de la vente ;
  • une logique d’achats d’impulsion du consommateur ;
  • un positionnement de haut de gamme ;
  • un stock de produit plus large.

Or, dans sa décision du 28 novembre 2014 (3), l’Autorité de la concurrence a estimé que sur l’ensemble de ces points, la condition de l’absence de substituabilité n’était pas établie dans la mesure où :

  • certains de ces critères n’étaient en réalité pas établis : notamment le caractère confidentiel de la vente événementielle en ligne – dans la mesure où le site compte des millions d’utilisateurs -, et la logique d’achats d’impulsion – dans la mesure où des études permettaient d’établir que la grande majorité des utilisateurs ne procédaient pas à de l’achat impulsif mais que l’achat impliquait le plus souvent une recherche comparative en amont ;
  • ces critères permettant de caractériser ce marché pouvaient également s’appliquer pour un grand nombre d’autres acteurs : les enseignes physiques de vente privée, les entreprises de destockage de produits haut de gamme, certains sites de e-commerce etc. Ainsi, les sites d’évènementiel en ligne se trouvaient en concurrence avec d’autres canaux de distribution et ne pouvaient donc constituer, à eux seuls, un marché pertinent puisque ces canaux concurrents constituaient des services substituables.

Elle a donc estimé que :

« l’existence d’un marché de la vente événementielle en ligne tel que délimité dans la notification des griefs et pour la période visée (2005-2011) n’est pas établie ».

La société Brandalley, accompagnée de la société Showroomprivée qui s’était jointe à l’instance, a alors interjeté appel de cette décision, considérant que l’autorité de la concurrence avait manqué à son obligation de déterminer l’existence d’un marché pertinent, alors que celui-ci existait bel et bien en pratique.

Dans son arrêt du 12 mai 2016 , la cour d’appel de Paris a rejeté les demandés de Brandalley, affirmant que l’Autorité de la concurrence avait bien respecté cette obligation et s’est ensuite alignée sur sa position en estimant que l’existence d’un marché pertinent n’était pas caractérisée .

La Cour d’appel apporte par ailleurs d’utiles précisions concernant l’argument de Brandalley selon lequel « les canaux de distribution physique et les canaux de distribution en ligne ne sont pas suffisamment substituables ».

La Cour d’appel se réfère en effet à une décision de l’Autorité de la concurrence de 2009 (4), citée par Brandalley affirmant qu’en matière de services d’agence de voyage, les services en ligne étaient substituables à ceux proposés par les agences traditionnelles.

Ce point est particulièrement important puisqu’il permet à la Cour d’appel de s’approprier l’analyse de l’Autorité de la concurrence pour rappeler qu’il n’est pas possible d’affirmer que :

« les canaux de distribution physiques et les canaux de distribution en ligne constitueraient par principe et dans tous les cas des marchés distincts portant sur des produits ou services non substituables entre eux ».

La décision de la Cour de cassation

Un pourvoi en cassation a alors été formé devant la Cour de cassation qui a estimé que l’analyse proposée par l’Autorité de la concurrence et la Cour d’appel étaient fondées et que les arguments avancés par le demandeur ne permettaient pas d’identifier un marché pertinent :

« l’Autorité a, à juste titre, considéré que plusieurs des éléments de différenciation du marché de la vente événementielle en ligne et des autres canaux de distribution d’invendus, identifiés par les services d’instruction, tels le niveau “attractif” des prix, la confidentialité de la vente, le positionnement haut de gamme, l’importance du stock, n’étaient pas spécifiques à la vente événementielle en ligne, puisqu’ils se retrouvaient aussi dans les autres canaux de distribution d’invendus, tandis que d’autres, telle la logique d’achat d’impulsion, devaient être relativisés et en déduit que ces éléments de segmentation ne suffisent pas à identifier un marché pertinent ».

Concernant l’argument de l’absence de substituabilité entre les sites de ventes évènementiel en ligne et les autres canaux de distribution liée au fait que seuls ces derniers supportaient les contraintes logistiques de la vente physique, la Cour de cassation a considéré que :

« ce constat pouvait être fait pour tous les canaux de vente en ligne, lesquels supportaient, par ailleurs, la charge d’importants investissements spécifiques, notamment informatiques, ce dont elle a pu en déduire qu’il ne traduisait pas une absence de substituabilité de l’offre telle qu’elle délimiterait un marché pertinent. »

Cette série de décisions a également permis à la Cour de cassation de se prononcer sur l’impact de l’écoulement du temps en matière d’analyse de marché.

En effet, la Cour de cassation a approuvé le raisonnement de l’arrêt d’appel, qui reprenait la position de l’Autorité de la concurrence, qui considérait que :

« c’est à juste titre que l’Autorité a constaté que l’analyse de la substituabilité du côté de la demande, pour la période visée par le grief, indispensable à la détermination du marché pertinent, n’était plus concevable, dès la date de sa décision, dans la mesure où la perception contemporaine qu’ont les acteurs du marché sur les possibilités de substitution qui leur étaient offertes ou qu’ils considéraient comme telles, près d’une décennie plus tôt, ne pourrait être considérée comme suffisamment fiable ».

Ainsi, lorsqu’un marché a connu des évolutions structurelles majeur de sorte qu’il n’est plus possible de « porter une appréciation rétrospective sur des comportements passés et aujourd’hui différents, des consommateurs », l’Autorité de la concurrence est en droit de considérer que l’analyse du marché n’est plus concevable.

Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Pierre Guynot de Boismenu
Lexing Contentieux informatique

(1) Cass com 6 décembre 2017 n° 16-19615
(2) CA Paris 12 mai 2016
(3) Décision n° 14-D-18 du 28 novembre 2014
(4) Décision n° 09-D-06 du 5 février 2009

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