Les avis négatifs sur des fiches professionnelles en ligne

suppression d’avis négatifs

Deux décisions récentes refusent des demandes de suppression d’avis négatifs relativement à des fiches professionnelles Google My Business, formulées par des chirurgiens-dentistes. 

Dans un arrêt du 22 mars 2019 (1), la Cour d’appel de Paris rappelle la règle. Des commentaires, aussi négatifs ou déplaisants soient-ils pour le professionnel concerné, ne constituent pas un trouble manifestement illicite justifiant leur retrait.

En l’espèce, un chirurgien esthétique exerçant à Paris dispose, comme nombre de praticiens aujourd’hui, d’une page Google My Business.  Il a constaté la présence de 8 commentaires selon lui « très négatifs » à l’égard de son activité professionnelle.

Quelques semaines après cet arrêt, le Président du Tribunal de grande instance, dans son ordonnance de référé du 12 avril 2019 (2), refuse également d’ordonner une suppression.  Il s’agissait de la fiche Google My Business d’une dentiste référencée sans son consentement. Elle avait constaté l’existence d’une fiche professionnelle comportant ses coordonnées et des avis sur sa pratique qu’elle estimait dénigrants.

Annuaire professionnel gratuit en ligne, le réseau Google My Business est destiné à tous les types de commerces ou entreprises. Il constitue un outil de référencement géolocalisé qui permet de promouvoir la notoriété et la bonne visibilité de son entreprise.

Les avis et commentaires qui y sont postés sont autant de retours d’expérience qui permettent à l’internaute de se faire une idée de la notoriété du professionnel.

La procédure de suppression d’avis négatifs

Dans le cas d’espèce de l’arrêt du 22 mars 2019, le praticien a fait supprimer la majorité des avis litigieux au terme d’une procédure en requête devant le Président du TGI de Paris. Il a ensuite assigné la société Google Inc., en référé afin de supprimer les avis restants sur la fiche de son établissement médical.

Par ordonnance du 29 juin 2018 (3), le Président du Tribunal de grande instance de Paris a débouté le praticien de ses demandes. Ce dernier fait donc appel de l’ensemble des chefs de cette décision.

S’agissant de l’arrêt du 22 mars 2019, la Cour d’appel de Paris confirme dans toutes ses dispositions l’ordonnance de référé du 29 juin 2018.

Dans le cas d’espèce de l’ordonnance de référé du 12 avril 2019, la praticienne assigne Google France en référé afin d’obtenir la suppression de la fiche Google My Business sur le fondement du droit d’opposition au traitement de données.

Dans un cas, l’objectif était donc celui de la suppression d’avis négatifs publiés sur la fiche professionnelle ; tandis que dans l’autre, l’ambition était celle d’obtenir la suppression de la fiche professionnelle, créée sans le consentement de la praticienne.

Les fondements de la demande de suppression d’avis négatifs

Dans le cas de l’arrêt du 22 mars 2019, le praticien fonde sa demande sur les dispositions de l’article 6-1, 8) de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Son action est par ailleurs fondée non pas sur le droit de la presse mais bien sur le dénigrement et sur les dispositions de l’article 1240 du Code civil.

De son côté, la société Google Inc. soutient la nullité de l’assignation introductive d’instance. Selon elle,  l’assignation ne répondrait pas aux exigences posées par les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.  Elle précise que le juge des référés avait rejeté cette exception de nullité dans la mesure où il n’avait pas donné son exacte qualification.

La Cour d’appel précise que le praticien a situé son action dans le cadre des dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, à l’exclusion de la loi sur la presse. Le fait est qu’elle ne sollicitait que le retrait des trois avis publiés sur sa fiche professionnelle, sans demander de réparation. Aussi, dans son assignation, il soutient que les avis négatifs sont « faux », comme n’émanant pas de ses clients, ou « dénigrants » et qu’ils lui causent un « réel préjudice de réputation ».

Dans le cas de l’ordonnance de référé du 12 avril 2019, la praticienne fonde également sa demande sur les dispositions de l’article 6-1, 8) de la loi du 21 juin 2004.

En revanche, son action est pour sa part fondée sur les dispositions de la loi Informatique et libertés, dans la mesure où elle estime que la fiche Google My Business la concernant constitue un traitement automatisé de ses données manifestement illicite.

L’absence de trouble manifestement illicite

Ces deux décisions concluent à l’absence d’un trouble manifestement illicite.

Dans le cas de l’arrêt du 22 mars 2019, faute de diffamation, d’injure ou de dénigrement, la Cour en a déduit que l’existence d’un trouble manifestement illicite n’était pas caractérisée. Elle confirme ainsi l’ordonnance de référé du 29 juin 2018.

En l’espèce, les trois avis litigieux étaient les suivants :

  • « homme désagréable, hautain, antipathique, pas à l’écoute ni disponible pour le patient, il donne l’impression qu’il a qu’une envie c’est qu’on lui donne son argent et qu’on s’en aille, ça doit être un bon chirurgien mais aucune envie d’être opérer par un homme comme lui » ;
  • « Il est réputé très hautain et expéditif. J’ai été choquée qu’il me demande de régler avant les injections comme si j’allais m’envoler. Je comptais faire une augmentation mammaire avec lui mais hors de question. Pas du tout à mon écoute, expéditif. Il parlait surtout du prix et me regardais à peine » ;
  • « il efface les questions qui lui conviennent pas sur son site web. C’est pas digne de confiance ».

La Cour d’appel relève que ces avis, aussi négatifs et déplaisants soient-ils, ne sont en réalité pas insultants, et ne comportent pas d’allégations mensongères.

La libre critique et l’expression subjective

S’agissant de ces avis émis sur la pratique d’un chirurgien esthétique, la Cour d’appel précise même qu’ils relèvent plutôt de la libre critique et de l’expression subjective.

En effet, ils constituent davantage, selon les termes de l’arrêt :

  • « une opinion ou un ressenti de patients déçus pour les deux premiers et un commentaire extérieur pour le troisième. En cela ils participent de l’enrichissement de la fiche professionnelle de l’intéressé et du débat qui peut s’instaurer entre les internautes et lui, notamment au moyen de réponse que le professionnel est en droit d’apporter à la suite des publications qu’il conteste ».

De la même manière, dans son ordonnance de référé du 12 avril 2019, le Président a estimé que :

  • « la publication d’avis d’internautes, sous cette fiche, n’est pas [non plus] manifestement illicite, la demanderesse ne pouvant d’ailleurs, en principe, soutenir qu’il ne serait pas légitime que toute personne puisse noter et donner son avis, une telle position n’étant pas compatible avec le principe de liberté d’expression ».

L’absence d’atteinte au droit des données personnelles

Dans son ordonnance de référé du 12 avril 2019, le Président a estimé, concernant la demande de suppression de la fiche professionnelle :

  • « que les informations mises en ligne et relatives à la demanderesse, portant sur son nom, l’adresse de son lieu d’exercice professionnel ou encore son numéro de téléphone professionnel sont certes des données à caractère personnel ;
  • « qu’elles ne relèvent pas, pour autant, de la sphère privée (…) ;
  • « que, dès lors, l’atteinte au droit des données personnelles n’est pas, à cet égard, manifestement démontrée ».

Et, pour répondre à l’interrogation relative à l’existence d’un intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement, il relève que :

  • « (…) l’identification de chaque professionnel concerné, comme sujet d’un forum sur lequel les internautes postent leurs avis, relèvent d’un intérêt légitime d’information du consommateur (…) » ;
  • « (…) la suppression pure et simple de la fiche de la demanderesse contreviendrait au principe de la liberté d’expression ».

Chloé Legris-Dupeux
Géraldine Camin
Lexing Pénal numérique et e-réputation

(1) CA Paris, pôle 1, ch. 8, du 22 mars 2019.
(2) TGI de Paris, ordonnance du 12 avril 2019.
(3) TGI Paris, ordonnance du 29 juin 2018.

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