L’étendue de l’obligation des hébergeurs

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L’étendue de l’obligation des hébergeurs de détenir et conserver les données d’identification

La question de l’étendue de l’obligation de détenir et conserver les données d’identification des créateurs de contenus mise à la charge des hébergeurs par l’article 6-II de la loi pour la confiance dans l’économie numérique est à nouveau posée par le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 14 novembre 2008 dans un litige qui opposait l’humoriste Lafesse à la plate-forme d’hébergement de vidéos en ligne YouTube.

Dans cette affaire, l’humouriste soutenait que YouTube n’avait mis en oeuvre « aucun moyen destiné à permettre l’identification des tiers à l’origine de la mise en ligne de contenus« . Youtube faisait valoir, au contraire, que les données d’identification qu’elle collecte (nom, adresse électronique et adress IP de l’utilisateur) « suffisent en l’état à satisfaire à ses obligations d’hébergeur, en l’absence de définition légale ou réglementaire des données en cause« .

Le projet de décret portant application de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique n’a en effet toujours pas été adopté. Il précise que les hébergeurs doivent détenir et conserver les données suivantes :

  • pour chaque opération de création, les données permettant d’identifier l’origine de la création des contenus ;
  • les informations fournies lors de la souscription d’un contrat par un utilisateur ou lors de la création d’un compte ;
  • lorsque la souscription du contrat ou du compte est payante, les informations relatives au paiement.

    Le projet de décret prévoit, en outre, que les données d’identification des créateurs de contenus doivent être conservées un an à compter du jour de la création des contenus pour chaque opération contribuant à la création d’un contenu.

    Le tribunal a considéré que YouTube, « à tout le moins dans l’attente du décret d’application« , devait collecter les données d’identification des créateurs de contenus « telles qu’expressément et clairement définies par l’article 6-III 1°de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, à savoir leur nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone« . En ne collectant pas ces informations, YouTube a, selon le tribunal, « failli à ses obligations d’hébergeur« .

    La loi pour la confiance dans l’économie numérique n’impose toutefois pas aux hébergeurs l’obligation de vérifier les informations fournies par les utilisateurs. Au cours des travaux parlementaires relatifs à cette loi, les parlementaires avaient en effet refusé une telle obligation de vérification des données dans les termes suivants : « La réserve est d’ordre juridique et tient à la compatibilité d’une telle obligation au regard des dispositions de la directive communautaire du 8 juin 2000. Celle-ci ne prévoit en effet aucune obligation de ce type à la charge des intermédiaires techniques de la société de l’information. Elle n’ouvre pas, par ailleurs, expressément aux Etats membres la faculté d’exiger la vérification de contenus ».

    La jurisprudence n’est pas totalement fixée quant à l’étendue des obligations de vérification des hébergeurs :

  • le Tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance du 2 février 2004, a estimé qu’un hébergeur n’était pas tenu de vérifier les informations qui lui sont communiquées ;
  • en 2006, la Cour d’appel de Paris, confirmant un jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 16 février 2005, a estimé que la société Tiscali Média avait commis une négligence, au sens de l’article 1383 du Code civil, en se contentant des coordonnées fantaisistes d’identification fournies par le client, lesquelles ne permettaient pas l’identification de la personne concernée ; cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation ;
  • dans l’affaire opposant Google Inc. à Benetton, la Cour d’appel de Paris a jugé que Google Inc. « ne pouvait se contenter de fournir (…) une adresse IP en les renvoyant au fournisseur d’accès du blog litigieux pour obtenir l’identité de l’auteur (…), alors qu’en qualité d’hébergeur, elle devait disposer (…) des éléments d’identité qui lui étaient demandés ». Dans cette affaire, l’hébergeur ne détenait aucune donnée d’identité (nom, prénom, adresse, n° de téléphone) mais seulement l’adresse IP et une adresse e-mail.

    En conclusion, il résulte de ces décisions que :

  • la nature des données recueillies doit être conforme aux exigences de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (affaires Google Inc. c/ Benetton et Lafesse c/Youtube) ;
  • les vérifications de l’hébergeur doivent a minima porter sur l’absence de caractère fantaisiste des données fournies (affaire Tiscali Media) ;
  • à ce jour, la jurisprudence ne semble pas exiger, en l’absence de caractère « manifestement fantaisiste » des données de vérification de la réalité des données fournies.

    TGI Paris 14 novembre 2008
    CA Paris, 2 décembre 2007, Google Inc. c/ Benetton
    CA Paris, 7 juin 2006, Tiscali Media c/ c/ Dargaud Lombard, Lucky Comics
    TGI Paris, ordonnance de référé, 2 février 2004, Métrobus c/Ouvaton

    (Mise en ligne Décembre 2008)

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