Licence MSS : le détournement du marché du Wifi dans les avions

Licence MSS

Inmarsat détournerait la licence MSS visant à réduire la fracture numérique afin de fournir le Wifi dans les avions.

Le Wifi dans les avions, un marché en expansion

L’opérateur de communications électroniques américain Viasat, l’opérateur de satellite européen Eutelsat et Panasonic ont porté plainte contre la société Inmarsat auprès de la Cour de justice de l’Union européenne en avril 2017 pour détournement d’une licence européenne d’exploitation (1).

Le marché de l’internet dans les avions est en pleine expansion au sein de l’Union européenne puisque, à l’heure actuelle, seulement 20% des avions sont équipés du Wifi contre 90% des avions aux Etats-Unis. En outre, le Wifi dans les avions devient une priorité pour plus de 90 % des passagers dont 70% préfèrent aujourd’hui bénéficier d’internet plutôt que d’un repas (2).

La licence de services mobiles par satellite (MSS)

Le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont adopté la décision 626/2008/CE du 30 juin 2008 concernant la sélection et l’autorisation de systèmes fournissant des services mobiles par satellite (MSS) visant à réduire la fracture numérique en Europe par le satellite en permettant d’offrir une couverture sur l’ensemble de l’Union européenne, y compris dans les zones reculées.

A ce titre, la décision précitée a mis en place une procédure de sélection commune des opérateurs utilisant la bande de fréquences de 2 GHz qui a abouti à la sélection de deux candidats afin de déployer un service mobile par satellite paneuropéen durant 18 ans : Solaris Mobile Limited et Inmarsat Ventures Limited (Inmarsat).

A cette occasion, l’Arcep a, par une décision du 21 octobre 2014, attribué les fréquences de la bande MSS à la société Inmarsat pour la France.

Il s’avère que l’appel à candidatures pour obtenir une licence MSS concernait « les réseaux de communications électroniques et installations associées permettant de fournir des services de radiocommunications entre une station terrienne mobile et une ou plusieurs stations spatiales » (3).

En conséquence, cette licence n’était censée s’appliquer que pour l’utilisation de service de communications électroniques au moyen de stations terrestres reliées à des ressources satellitaires. Il ne s’agit pas de mettre en place une connectivité entre ces stations terrestres et des avions au moyen de la bande de fréquence 2 GHz.

Or, la société Inmarsat souhaite désormais, dans le cadre de son projet EAN (European Aviation Network), utiliser la licence MSS afin de déployer et exploiter des antennes relais au sol afin de fournir le Wifi dans les avions « à travers une double connectivité : par satellite ainsi qu’à travers l’usage complémentaire de ces antennes relais au sol » (4).

L’Arcep a d’ailleurs lancé une consultation publique sur l’autorisation d’éléments terrestres complémentaires au service mobile par satellite en bande 2 GHz de la société Inmarsat le 13 juillet 2017.

Le motif de la plainte : un détournement de la licence

Comme le précise l’Arcep à l’article 1er du projet d’autorisation prévu en annexe de la consultation publique, Inmarsat souhaite utiliser sa licence MSS pour mettre en œuvre des communications électroniques dans le sens « Terre vers espace » afin de développer le Wifi dans les avions.

Or, force est de constater que la licence n’a pas été octroyée dans cet objectif. En effet, le texte indique que le MSS consiste à fournir des services de communications électroniques entre une station terrienne et une ou plusieurs stations spatiales. Il s’agit donc, dans le sens originel du texte, de fournir des services de télécommunications accessibles par un terminal situé au sol, dans une zone non desservie par les réseaux mobiles terrestres « traditionnels », par l’intermédiaire d’un satellite et non à fournir le Wifi dans les avions.

A ce titre, Eutelsat et Viasat considèrent que la société Inmarsat ne s’est pas conformée « aux obligations de sa licence » et « détourne les autorisations, en termes de services et d’infrastructures ». De son côté, la société Inmarsat considère que la plainte n’a aucun fondement. (5)

Le litige relève donc de ce que les sociétés Eutelsat et Panasonic considèrent comme étant d’une tentative de détournement par la société Inmarsat des fréquences normalement dédiées à la connectivité terrestre par l’intermédiaire de satellite pour l’appliquer à la connectivité aérienne qui est beaucoup plus lucrative.

Sanction de l’Arcep et concurrence abusive

L’utilisation de la licence pour mettre en place le Wifi dans les avions pourrait, en effet, constituer un détournement de la licence si le champ d’application n’est effectivement pas respecté par la société Inmarsat.

A ce titre, le fondement d’un recours en justice est double : le droit des télécoms et le droit de la concurrence.

En ce qui concerne le droit des télécoms, l’article 8 de la décision précise que les sanctions prévues à l’article 10 de la directive 2002/20/CE sont applicables pour les manquements relatifs à l’utilisation de la licence.

A ce titre, l’Arcep, en France, peut être amenée à prendre des sanctions allant de sanctions pécuniaires jusqu’au retrait de la licence d’utilisation de la fréquence sur le territoire français.

En droit de la concurrence, il s’avère que le fait de posséder une licence octroie un avantage concurrentiel très important qui peut être comparé à une facilité essentielle puisque, par nature, les fréquences sont limitées dans l’espace et que seuls les détenteurs de licence peuvent en bénéficier.

A ce titre, utiliser les fréquences, normalement dévolues à la réduction de la fracture numérique sur terre, à d’autres fins peut, éventuellement, être considéré comme un abus de position dominante visant à s’immiscer sur un autre marché, celui du Wifi dans les avions.

Alain Bensoussan Avocats
Pôle Constructeurs Informatique et Telecom

(1) “Inmarsat dismisses EC court challenge over EAN by its rivals”, GetConnected.aero 13-7-2017.
(2) Geoffroy Stern, « Wifi à bord des avions : un marché en pleine expansion », Blog MediaPart.fr 11-7-2017.
(3) Décision 626/2008/CE du 30 juin 2008 concernant la sélection et l’autorisation de systèmes fournissant des services mobiles par satellite (MSS) (JOUE L 172 du 2-7-2008 p.15), Art. 2, point 2, b.
(4) Arcep, « Accès à internet dans les avions : L’Arcep met en consultation publique sa décision d’autoriser la société Inmarsat à déployer des antennes relais au sol », Communiqué de presse du 13-7-2017.
(5) Véronique Guillermard, « Bataille juridique autour du Wi-Fi dans les avions », Le Figaro économie, 21-7-2017.

Retour en haut