Applicabilité d’une loi d’ordre public aux baux en cours

d’ordre publicUne loi d’ordre public s’applique aux contrats en cours même si ce contrat a été conclu avant son entrée en vigueur.

Le principe énoncé par la Cour de cassation

En 2007, une société bailleresse a donné à bail à une société preneuse deux appartements afin que cette dernière puisse exploiter une résidence de tourisme. La société preneuse a donné congé pour le 1er juillet 2013, à l’expiration de la seconde période triennale, en vertu de la faculté de résiliation triennale prévue par l’article L. 145-4 du Code de commerce.

Le 20 septembre 2013, la société bailleresse a assigné la société preneuse afin de voir prononcer la nullité des congés délivrés. Par un jugement du 19 novembre 2014, le Tribunal de grande instance de La Rochelle a fait droit à cette demande. La société preneuse a relevé appel du jugement, demandant à la Cour d’appel de Poitiers de constater que les congés délivrés étaient réguliers.

La société bailleresse opposait dans ses conclusions l’irrégularité des congés au regard notamment de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, issu de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009, lequel dispose : « Les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du Code du tourisme sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale. »

Par arrêt du 10 novembre 2015, la Cour d’appel de Poitiers affirmait que dans la mesure où les baux litigieux avaient été conclus avant l’entrée en vigueur de la loi de 2009 précitée : l’article L. 145-7-1 du Code de commerce qui exclut la faculté de résiliation triennale concernant les baux relatifs aux résidence de tourisme n’est pas applicable au litige ».

Elle en déduisait que c’étaient les dispositions de l’article L. 145-4 du Code de commerce qui s’appliquaient, lesquelles permettent au preneur de donner congé à l’expiration d’une période triennale si aucune clause du contrat ne s’y oppose, et que les congés délivrés étaient donc réguliers et valides.

Un pourvoi a été formé par la société bailleresse, visiblement fondé sur l’applicabilité de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce. Par un arrêt du 9 février 2017 n° 16-10.350 (1), la 3e chambre civile de la Cour de cassation a fait droit à cette demande et a considéré, notamment au visa de l’article 2 du Code civil, que l’article L. 145-7-1 « s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur » en ce qu’il est d’ordre public.

L’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 10 novembre 2015 était donc cassé et annulé dans toutes ses dispositions.

La continuité de la jurisprudence en matière de rétroactivité des lois d’ordre public

L’article 2 du Code civil précité dispose que : « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

Ainsi, aux termes de ce texte, le principe est que le contrat reste soumis au droit qui était en vigueur au jour de sa conclusion afin de respecter la volonté des parties, telle qu’elle s’est manifestée au jour de la conclusion.

Ce principe de non rétroactivité connait cependant un certain nombre de tempéraments, notamment pour les lois :

  • que le législateur rend expressément rétroactives ;
  • qui sont considérées par les juges comme étant d’ordre public ;
  • interprétatives ;
  • pénales plus douces ;
  • confirmatives.

Cette notion de d’ordre public avait par exemple pu être admise dans d’autres types de contrats à exécution successive :

Même s’il peut paraitre intriguant de conférer un caractère d’ordre public à un article fixant un délai minimum en matière de bail commercial touristique, force est cependant de constater que le principe dégagé par cette jurisprudence n’est pas nouveau.

En outre, la portée de l’arrêt est très encadrée : il ne s’agit que de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce et il ne s’agit que des « baux commerciaux ». Ainsi donc, en aucun cas cet arrêt ne pose un principe d’application rétroactive des lois nouvelles aux contrats en cours.

Il est évidemment tentant d’établir des liens entre cette décision et la récente entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.

Cette décision sera-t-elle de nature à encourager les juges à appliquer de manière rétroactive des dispositions de cette ordonnance à certains contrats à exécution successive conclus avant le 1er octobre 2016, date de l’entrée en vigueur de cette ordonnance ?

Une telle supposition semble peu compatible avec les dispositions de cette ordonnance. En effet, aux termes de l’article 9 (rattaché au Titre IV « dispositions transitoires ») de celle-ci, il est précisé que : « les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne ».

Reste que cette formulation ressemble à celle de l’article 2 du Code civil et ne semble donc pas être de nature à empêcher les juges de considérer que telle ou telle disposition de l’ordonnance, qui présenterait selon eux un caractère d’ordre public, puisse s’appliquer aux contrats en cours conclus avant le 1er octobre 2016.

Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Pierre Guynot de Boismenu
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(1) Cass. 3e civ. 9-2-2017, n° 16-10350, Capimo 121, SAS c/ MMV résidences, SAS.

 

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