Télécoms et neutralité de l’internet : le débat s’intensifie outre-Atlantique

Télécoms et neutralité de l’internet : le débat s'intensifie outre-AtlantiqueAux Etats-Unis, le débat de la neutralité de l’internet vient d’atteindre de nouvelles hauteurs après que les opérateurstélécoms ont décidé de porter la réglementation pour la neutralité de l’internet de la Federal Communications Commission (FCC), devant la justice américaine.

Deux plaintes viennent ainsi d’être déposées.

La neutralité de l’internet aux Etats-Unis. Pour rappel, la FCC avait déjà tenté d’imposer la neutralité aux FAI mais la question avait été tranchée en janvier 2014 par la justice américaine qui avait considéré que la FCC n’était pas compétente pour réguler les « services d’information ».

Le régulateur américain avait en réaction pris position le 15 mai 2014 en faveur des opérateurs de réseaux de télécommunications en votant une proposition de cadre règlementaire qui prévoyait la possibilité d’un traitement préférentiel des acteurs du net.

Face à la levée de bouclier contre ce projet, la FFC semble avoir revu sa copie et a voté, le 26 février 2015, un « Order » concernant «an open Internet » ou Internet ouvert (1), dans lequel elle interdit, pour les réseaux internet fixe et mobile, les bridages (« Throttling »), les blocages de contenus (blocking) et se positionne contre la création de « voies expresses » payantes pour les fournisseurs de contenus (« paid prioritization »).

La FCC profite de son texte pour définir la notion de « paid prioritization » comme « la gestion du réseau d’un fournisseur d’accès à internet haut-débit permettant de favoriser directement ou indirectement une partie du trafic sur le reste du trafic, y compris par l’utilisation de techniques comme la régulation du trafic, l’accès prioritaire, la réservation de ressources, ou d’autres formes de gestion préférentielle du trafic, soit (a) en échange d’une contrepartie (financière ou autre) par un tiers, ou (b) au bénéfice d’une entité affiliée » (2).

Il est intéressant de relever que, contrairement aux blocages ou aux bridages auxquels la FCC prévoit des exceptions liées à la gestion du réseau, elle exclut celles-ci pour les « paid prioritization » considérant que cette pratique est uniquement une pratique commerciale et non une opération de gestion du réseau.

La réponse des opérateurs ne s’est pas faite attendre puisque deux actions en justice furent introduites le 23 mars dernier, l’une portée par Alamo Broadband (un opérateur texan), l’autre par US Telecom (un lobby d’opérateurs comprenant AT&T et Verizon), dont l’objectif est de faire reconnaitre l’absence de fondement légal de cette nouvelle règlementation. Les FAI semblent estimer que la FCC a outrepassé ses prérogatives en proposant des règles de régulation de l’internet.

En effet, la FCC fonde son pouvoir de régulation du secteur de l’Internet par des dispositions d’une loi datant de 1934 concernant les communications (3). Elle tente ainsi de qualifier l’accès à Internet, non plus de « service d’information », mais de « service de communication », ce qui la rend, selon elle, compétente pour imposer la neutralité du net au secteur.

Il faudra donc attendre la décision des juges sur cette question, attente qui risque de s’étendre sur plusieurs années tant la bataille à venir s’annonce violente (comme le montrent les termes utilisés dans l’acte introductif d’instance de Alamo Broadband qui décrit la position de la FCC comme arbitraire (« arbitrary ») et fantasque (« capricious »)).

Un débat d’importance en Europe et en France. Moins médiatique, mais tout aussi présente, la problématique de la neutralité du net est aussi abordée en Europe.

Comme nous l’évoquions déjà dans un précédent billet, la problématique d’un internet ouvert et son principe de neutralité touche la France avec un rôle très actif des régulateurs que sont l’Arcep et dans une moindre mesure l’Autorité de la concurrence (4). L’Arcep a notamment mis en place un système de recueil d’informations sur l’interconnexion et la gestion du trafic qui lui permet d’évaluer la qualité du réseau par opérateur (5) et a rendu un rapport au Parlement et au Gouvernement en 2012 sur la neutralité de l’internet (6).

En réaction à la décision de la FCC d’imposer la neutralité aux FAI, le président de l’Arcep a rappelé que « la neutralité du Net est une valeur cardinale des réseaux » et de préciser qu’en « France aussi, il ne faut pas avoir peur de dire que nous voulons construire un Internet à une vitesse » (7).

Déjà dans son rapport de 2012 l’Arcep posait très clairement que les enjeux concernant la neutralité de l’internet (investissement et augmentation des capacités, gestion du trafic et qualité du service) étaient « pleinement de la compétence du régulateur des communications électroniques, l’ARCEP ».

L’étau semble donc se resserrer autour des opérateurs, d’autant plus que l’Europe a voté le 3 avril 2014 un projet de règlement européen établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté , qui reconnait le principe de neutralité du net en définissant les service d’accès à l’internet comme « un service de communications électroniques accessible au public, qui fournit une connectivité à l’internet, conformément au principe de neutralité de l’internet, et, partant, une connectivité entre la quasi-totalité des points terminaux connectés à l’internet, quels que soient la technologie de réseau ou les équipements terminaux utilisés ». Le projet précise le principe de la neutralité de l’internet comme « le principe selon lequel l’ensemble du trafic internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application ».

Pour conclure sur le débat de la neutralité de l’Internet aux Etats-Unis et en Europe, nous noterons simplement que la problématique de l’internet ouvert se pose, aux Etats-Unis, sur la question de la légitimité d’une régulation du secteur (doit-on réguler ?), quand en Europe, et notamment en France, elle attrait aux modalités de cette régulation (comment devons-nous réguler ?). Partant de ce constat, il est probable que l’Europe endosse le rôle de précurseur s’agissant de la réglementation de trafic de l’internet.

Frédéric Forster
Lexing Droit Télécoms

1) FCC, Report and Order on remand, declaratory ruling, and order, March 12, 2015.
(2) « the management of a broadband provider’s network to directly or indirectly favor some traffic over other traffic, including through use of techniques such as traffic shaping, prioritization, resource reservation, or other forms of preferential traffic management, either (a) in exchange for consideration (monetary or otherwise) from a third party, or (b) to benefit an affiliated entity ».
(3) Communications Act, TItle II, 19 06 1934.
(4) Lire un précédent post du 10-10-2012.
(5) Lire un précédent post du 17-7-2013.
(6) Rapport au Parlement et au Gouvernement sur la neutralité de l’internet.
(7) Interviews du président de l’Arcep par la Tribune.
(8) Projet de règlement européen établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté.

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