Une plateforme engage sa responsabilité contractuelle du fait de sa qualité d’éditeur

plateforme Par décision du 21 février 2023, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné l’exploitant d’une plateforme à indemniser des utilisateurs en sa qualité d’éditeur.

Les faits constatés

Des utilisateurs d’une plateforme de location saisonnière ont été victimes d’escroqueries lors de la réservation de leur de séjour.

Les réservations litigieuses étaient réalisées à partir d’annonces invitant les utilisateurs à entrer directement en contact avec les faux propriétaires. L’annonce en cause et l’adresse électronique figuraient dans un encadré ajouté par incrustation sur un emplacement réservé aux photographies.

Lesdits utilisateurs ont assigné la société exploitant la plateforme, engageant sa responsabilité en sa qualité d’éditeur, pour ces contenus illicites.

La détermination du statut de la société éditrice de la plateforme

Pour condamner l’exploitant de la plateforme à indemniser les utilisateurs, le Tribunal judiciaire considère que celle-ci revêtait la qualité d’éditeur. De ce fait, elle ne pouvait qu’engager sa responsabilité contractuelle à leur égard.

Pour justifier la qualité d’éditeur, le tribunal estime que la plateforme tient un rôle particulièrement « actif » dans la diffusion des annonces. Un tel rôle exclut le bénéfice de la responsabilité légale « allégée » prévue pour les hébergeurs (1).

A cet égard, le tribunal relève principalement l’immixtion de la plateforme dans la mise en relation des hôtes avec ses utilisateurs. En effet, à travers les conditions générales d’utilisation qui tiennent lieu de contrat avec ses utilisateurs, la plateforme fixe les règles d’utilisation et de communication des utilisateurs sur celle-ci. Elle dispose également d’un droit discrétionnaire sur l’éligibilité des propriétaires et la pertinence du contenu de leurs annonces.

Fort de sa position, le tribunal considère qu’« il y a lieu en l’espèce d’envisager la responsabilité de la société selon les critères de la responsabilité contractuelle de droit commun ».

L’éditeur de la plateforme jugé responsable du fait de l’ambiguïté de l’information délivrée aux utilisateurs

Pour écarter sa faute, la plateforme argue de sa réactivité dans le retrait des annonces frauduleuses. Par ailleurs, malgré la mise en place d’un système de détection d’annonces illicites, la détection de la méthode d’escroquerie s’est avérée difficile.

S’il ne retient pas de faute imputable à la plateforme, le tribunal retient, en revanche, sa responsabilité contractuelle au motif que l’information à l’égard de ses utilisateurs était trop ambiguës et insuffisantes. Il s’agissait de mesures d’information et d’avertissement concernant le fonctionnement de la plateforme ; les conditions de garanties d’une part, et la présence d’éventuelles annonces parasites d’autre part. Le tribunal reproche, en effet, à la plateforme de ne pas avoir :

  • fait ressortir « de façon suffisamment manifeste » les risques de « piratage de contenus » et de fraudes ;
  • alerté ses utilisateurs sur la nécessité de lire attentivement ses « conditions générales (…) comme un préalable essentiel à son utilisation » et sur la nécessité de « suivre les instructions du site et de ne pas s’écarter de celui-ci » ;
  • mis en exergue « des recommandations de prudence », celles-ci étant « mélangées à d’autres informations diverses et variées » et « figurant dans la rubrique Aide (…) pas forcément indispensable pour le vacancier » ;
  • souligné explicitement « l’exclusion de principe de toute [sa] responsabilité » en cas de communication entre les propriétaires et locataires, en dehors de la plateforme.

Néanmoins, compte tenu du comportement imprudent des victimes, la plateforme n’a été condamnée qu’à 40% du montant de leur préjudice total.

A surveiller …

Pour ces raisons, les éditeurs de plateformes doivent prêter une attention particulière à la clarté des informations délivrées aux utilisateurs. Ils peuvent le faire notamment à travers leurs conditions générales d’utilisation. A défaut, ils risquent, en leur qualité d’éditeur et sur le fondement de la responsabilité contractuelle d’être condamnés à indemniser ces derniers.

Cet avertissement est d’autant plus important compte tenu de l’entrée en vigueur du règlement « Digital Services Act » ou DSA (2) sur les services numériques. L’objectif qui prévoit le renforcement de la transparence fait partie des nouvelles obligations imposées aux plateformes en ligne.

Alexandra Massaux,
Rosa Brunet
Lexing Contentieux informatique

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Notes

(1) Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).
(2) « Espace numérique européen : DSA et DMA approuvés par le Parlement européen », Post du 07-10-2022 ; « Le DSA : la régulation des TGP, plateformes à risque systémique », Post du 21-12-2022

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