Premier cas de protection juridique d’un avatar

AvatarLes afficionados du e-shopping reconnaîtront Cécile de Rostand, avatar de Vente-privée.com chargée des relations clients.

A ce titre, ce personnage virtuel, créé de toutes pièces par l’équipe marketing de la société, envoie des méls aux adhérents, tient un blog listant notamment les « bons plans » proposés sur le site, a ouvert son compte Facebook, twitter, etc.

Le 8 juin 2010, un particulier réservait le nom de domaine <cecilederostand.fr> et déposait en parallèle auprès de l’Inpi la marque verbale CECILE DE ROSTAND, notamment en vue d’une utilisation des produits en cuir, des tissus et linges, ainsi que des vêtements et des chaussures.

Nouvelle technique de e-marketing, le droit actuel ne prévoit pas un système de protection indépendant pour les avatars, et la société Vente-privée.com ne disposait pas non plus de marque enregistrée pour « Cécile de Rostand ».

C’est pourquoi, devant le tribunal, elle invoquait :

  • l’existence d’une marque notoire CECILE DE ROSTAND et une atteinte à cette marque ;
  • l’atteinte au nom commercial que constituerait le nom « Cécile de Rostand » ;
  • les droits d’auteur qu’elle détiendrait sur le personnage Cécile de Rostand.

Elle en concluait que le dépôt de la marque et la réservation du nom de domaine avaient été faits en fraude de ses droits antérieurs sur son avatar.

Dans son jugement du 3 décembre 2015, le Tribunal de grande instance de Nanterre rejette tout d’abord l’argument de la marque notoire, telle que définie à l’article 6 bis de la Convention de Paris, au motif que les preuves apportées par la société Vente-privée.com ne démontrent pas qu’un avatar permet « au public d’identifier l’origine de produits et services offerts par la demanderesse« .

Pour le tribunal, un avatar fait en effet la promotion de la société elle-même et l’incarne aux yeux des internautes en tant que chargé de relations avec les clients.

Cécile de Rostand répond donc à une logique marketing différente : elle ne constitue pas un signe servant à identifier les services de fourniture de différents produits et services mais incarne l’entreprise elle-même. Il ne s’agit donc pas d’une marque au sens de l’article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle car « la marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale« .

Le tribunal retient en revanche la qualification de l’ avatar en tant que nom commercial de la société Vente-privée.com, en s’appuyant sur la définition classique de cette notion : « l’appellation sous laquelle l’entreprise commerciale est exploitée et connue de sa clientèle« .

Le tribunal en déduit que le déposant ne pouvait pas ne pas connaître ce nom commercial, d’autant plus qu’il avait utilisé la plateforme d’achat de la société Vente-privée.com quelque temps auparavant.

Le tribunal retient également que la société Vente-privée.com est titulaire de droits d’auteur sur son avatar, celui-ci étant empreint par son apparence, son nom et son caractère de la personnalité de son auteur, et la société ayant divulgué cet avatar sous son nom.

Ces droits constituent des antériorités empêchant le dépôt postérieur du signe « Cécile de Rostand » à titre de marque, en application de l’article L.711-4 du Code de la propriété intellectuelle.

S’appuyant en outre sur l’adage de droit selon lequel « la fraude corrompt tout« , le tribunal estime frauduleux tant le dépôt de la marque que l’enregistrement du nom de domaine et annule donc ces deux enregistrements.

Cette décision prouve une nouvelle fois la capacité du droit actuel à s’adapter aux nouvelles technologies et possibilités techniques permises par les mondes virtuels, notamment celui des avatars.

Néanmoins, le tribunal n’a pu ici procéder à l’annulation de l’enregistrement que grâce au dossier de preuves constitué par la société Vente-privée.com, notamment des courriers électroniques envoyés par son avatar dès 2003 et les nombreux poste et commentaires publiés sous son nom.

Face à la dématérialisation et à la tentation qu’offre internet de se passer d’un archivage des informations, les sociétés actives virtuellement doivent se rappeler qu’en cas de contentieux, la question de la preuve et de la conservation de ces données anciennes peut rejaillir et faire défaut.

Une précaution essentielle est donc de prendre des règles internes relatives aux méthodes d’archivage et de conservation des données permettant d’anticiper tout contentieux.

Alain Bensoussan Avocats
Lexing Droit pénal numérique

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