Les principes du droit de l’espace : pour un espace sacralisé

Les nouvelles activités spatiales semblent redéfinir les principes du droit de l’espace qui avaient su perdurer jusqu’alors.

Le droit de l’espace se compose de l’ensemble des règles juridiques régissant les activités spatiales, qu’il s’agisse de « hard law » ou de « soft law ». Les traités internationaux régissant les activités spatiales en sont le premier exemple, suivis des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies, des lois spatiales nationales, des accords multilatéraux, des codes de bonne conduite, ou du droit internationale général. Si la notion de droit de l’espace n’est pas aisée à définir (1), la communauté internationale n’en a pas moins mis en exergue des principes généraux, perdurant encore, après plus d’un demi-siècle d’exploration spatiale.

Les principes du droit de l’espace ont cela de fascinant qu’ils ont été établis dès la Résolution des Nations Unies 1962 (XVIII) du 13 décembre 1963 (2), réitérés au sein du premier traité de l’espace de 1967 (3), alors même que la communauté internationale célébrait le sixième anniversaire de la mise en orbite du premier satellite Spoutnik 1.

Ces principes correspondent, ainsi, à une vision prospective de leurs rédacteurs sur l’encadrement juridique des futures activités spatiales. Or, malgré son manque de recul, cette réglementation ne s’est pas révélée hasardeuse. Au contraire, alors que les possibles en matière spatiale n’ont cessé de s’accroître, les principes du droit de l’espace sont restés figés, comme gravés dans le marbre.

Les neuf principes du droit de l’espace

Ces principes, tels qu’issus de la Résolution 1962 (XVIII), sont les suivants :

  • exploration et utilisation de l’espace extra-atmosphérique pour le bienfait de l’humanité toute entière ;
  • liberté d’utilisation et d’exploration ;
  • non-appropriation ;
  • utilisation pacifique ;
  • responsabilité des Etats sur leurs activités nationales ;
  • coopération et assistance mutuelle ;
  • juridiction et contrôle national sur les objets spatiaux ;
  • responsabilité des Etats pour dommage ;
  • statut d’envoyé de l’humanité au bénéfice des astronautes.

Afin de mieux appréhender les intentions des premiers « législateurs du droit de l’espace » il est possible de regrouper ces principes en trois catégories. Malgré une rédaction qui laisse transparaître une vision quasiment utopiste des activités spatiales, les principes du droit de l’espace ont perduré jusqu’à aujourd’hui.

Un espace commun et partagé : d’une vision communiste au capitalisme

Parmi les premiers principes de la Résolution du 13 décembre 1963, il est précisé que «l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique seront effectués pour le bienfait et dans l’intérêt de l’humanité toute entière» et que «l’espace extra-atmosphérique et les corps célestes ne peuvent faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par tout autre moyen» .  Ils traduisent une vision communiste de l’espace extra-atmosphérique, au sens originaire du terme, dans le sens d’une propriété commune par opposition à la propriété individuelle.

Le premier de ces principes fait référence à une vision de l’espace comme héritage de l’humanité dans son ensemble. Or, les différents traités de l’espace qui se sont succédés n’ont pas suivi une rédaction uniforme de cette notion, au risque d’en affaiblir la portée. L’article premier du Traité de l’espace de 1967 précise que «l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique […] sont l’apanage de l’humanité toute entière» , alors que le Traité sur la Lune (4) détermine, à son article 11, que «la Lune et ses ressources naturelles constituent le patrimoine commun de l’humanité» . Dans sa rédaction anglaise, les traités distinguent la notion de «Common province of Mankind» de celle de «Common heritage of Mankind» .

Or, l’enjeu de cette distinction est déterminant pour le cadre juridique des nouvelles activités spatiales, puisque se multiplient les intentions d’exploiter les ressources lunaires notamment, par les différentes puissances spatiales. Cependant, malgré l’intérêt d’une telle précision, les Nations unies sont restées muettes, la doctrine partagée et les acteurs du secteur spatial libres d’interpréter à leur avantage ces dispositions internationales.

Le principe de non-appropriation est le troisième principe du droit de l’espace, évoqué par la Résolution du 13 décembre 1963 et est réitéré à l’article 2 du Traité de l’espace de 1967. Il se rapproche de l’idée de patrimoine commun de l’humanité décrite à l’article 11 du Traité sur la Lune. Néanmoins, la portée de ce principe de non-appropriation demeure tout aussi floue que celle de patrimoine commun de l’humanité.

En effet, la tendance était, jusqu’à il y a peu, de considérer l’espace extra-atmosphérique comme une res communis, c’est-à-dire un espace qui appartient à tous. Mais les nouvelles ambitions d’exploitation du secteur privé ont invité les Etats à repenser ce principe et à l’interpréter dans le sens d’une res nullius, c’est-à-dire un espace n’appartenant, par principe, à personne, à moins que quelqu’un ne s’en saisisse.

Or, si le principe de non-appropriation, dans sa rédaction de la Résolution 1962 (XVIII), prohibe l’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, par voie d’utilisation ou d’occupation, la subtilité de la nouvelle interprétation de ce principe tient au fait que les appropriations seront privées et non nationales.

Le principe de non-appropriation est souvent associé à celui de la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. A la lecture de la Résolution du 13 décembre 1963 comme du Traité de l’espace (article premier), cette liberté n’est accordée qu’aux Etats, sujets privilégiés du droit international. L’exploration et l’utilisation de l’espace par les acteurs privés ne peuvent donc s’effectuer que sous condition d’autorisation explicite d’un Etat, conformément aux prescriptions de l’article 6 du Traité de l’espace.

La liberté d’exploration et d’utilisation est à la croisée des notions de partage et d’individualisme. En effet, il n’est pas question de restreindre les activités spatiales des Etats ou de leurs entreprises autorisées, quelles qu’elles soient, à condition, toutefois, de mener ces activités conformément au droit international. Ainsi, selon une application générale du principe de liberté, cette dernière n’est pas absolue, et trouve logiquement sa limite dans l’exercice par les autres puissances (quel que soit leur niveau de développement) de leur propre liberté en la matière.

Ce principe suppose également que l’une des activités menées par un Etat ne doit pas avoir pour conséquence de transformer de manière irrémédiable l’espace extra-atmosphérique, sous peine de quoi la liberté d’exploration et d’utilisation des autres Etats s’en trouverait entravée.

Un accent sur la nature pacifique des activités spatiales

D’autres principes du droit de l’espace précisent, quant à eux, les modalités de conduite des activités spatiales. Il apparaît comme primordial que les activités spatiales soient pacifiques. Cette notion renvoie, en pratique, à un usage non agressif de l’espace (ce qui est à différencier d’un usage exclusivement civil). La Résolution du 13 décembre 1963 fait état de trois principes que les Etats doivent appliquer dans ce cadre.

Tout d’abord, toute puissance spatiale explorant ou utilisant l’espace doit effectuer ses activités conformément au droit international. Cette exigence se comprend aisément dans la mesure où les principes du droit de l’espace ont été énoncés par l’Assemblée générale des Nations unies, laquelle participe à la création et au respect du droit international, et notamment au maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Activités s’exerçant en dehors de toute notion de souveraineté nationale, l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique sont nécessairement internationales. Conformément aux principes du droit international général, ce sont les Etats qui sont titulaires de cette obligation et il leur revient donc de s’assurer que les activités spatiales nationales ou plurinationales en respectent les contours.

Deux autres principes du droit de l’espace témoignent de la volonté d’inscrire ces activités dans un cadre pacifique et découlent finalement de cette exigence de conformité au droit international.

Le premier est relatif à une obligation de coopération et d’assistance mutuelle, imposée à tous les Etats participant à l’exploration et à l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Ce principe est en partie lié à celui de la liberté, dans la mesure où toute activité qui porterait atteinte aux activités d’autres Etats en matière d’exploration et d’utilisation doit faire l’objet de consultations internationales.

Néanmoins, son étendue ne se limite pas à ce cadre. Il implique un dialogue effectif et transparent entre les puissances spatiales afin d’assurer la pérennité et la sécurité des activités menées. Aujourd’hui, ce dialogue est notamment tourné vers la problématique des débris spatiaux.

De plus, l’assistance suppose qu’en cas de détresse ou de danger, tout Etat susceptible d’apporter un secours ou soutien doit intervenir, et ce quelle que soit la nationalité ou qualité des acteurs secourus, et quel que soit le lieu de survenance du danger, dans l’espace terrestre, aérien ou extra-atmosphérique.

Le second principe est intimement lié à cette notion d’assistance. Dernier principe de la Résolution du 13 décembre 1963, il considère les astronautes (spationautes pour reprendre la terminologie européenne) comme des envoyés de l’humanité dans l’espace extra-atmosphérique. Ce statut leur confère un droit à une assistance «en cas d’accident, de détresse ou l’atterrissage forcé sur le territoire d’un Etat étranger ou en haute mer» . Ils bénéficient, par ailleurs, du droit à se voir transportés promptement et «à bon port» vers l’Etat d’immatriculation de leur véhicule spatial.

Ces principes œuvrent, ainsi, pour une exploration et une utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. Or, la déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies ne se contente pas d’édicter des principes de coopération mais initie une véritable responsabilisation des puissances spatiales.

Une volonté de responsabilisation des Etats

La responsabilisation des Etats pour leurs activités spatiales est un principe central du droit de l’espace. Elle se décline en deux facettes : une responsabilité internationale pour le contrôle des activités et une responsabilité pour dommage du fait de ces activités, menées dans l’espace extra-atmosphérique. Leur pendant étant indéniablement le principe de juridiction sur les objets spatiaux.

Les Etats ont, d’abord, une responsabilité de contrôle des activités spatiales. Ce principe impose aux Etats de gérer les autorisations nationales qu’ils délivrent pour la conduite de ces activités, qu’elles soient publiques ou privées. Tout acteur doit donc se voir expressément accréditer par un Etat. Mais cette notion de «responsabilité-contrôle» implique, de surcroît, une surveillance continue des puissances spatiales sur les activités qu’elles ont autorisé.

Si l’obligation de conformité au droit international pèse nécessairement sur les Etats, ces derniers répercutent, en quelque sorte, leurs obligations sur tout acteur intervenant dans le cadre d’activités spatiales.

Or, afin de pouvoir exercer ce contrôle, les Etats sont soumis au principe de juridiction. Cette notion leur impose de tenir un registre de tout objet, lancé dans l’espace extra-atmosphérique, qu’ils ont immatriculé. Dès lors qu’un objet y figure, il est alors placé sous la responsabilité de l’Etat d’immatriculation et ce dernier exerce sa pleine juridiction, tant sur l’objet que sur le personnel à son bord. Ce registre national est également indispensable en aval des activités spatiales, à l’occasion de l’engagement de la responsabilité des Etats pour dommage du fait de leurs activités spatiales.

Les Etats se voient imposer une obligation d’indemnisation des victimes des activités spatiales. Cette responsabilité est conséquente pour tout dommage causé à la surface de la Terre, dans la mesure où elle est illimitée, ne bénéficie d’aucune cause d’exonération ou de prescription, à l’exception de la faute lourde volontaire de la victime. Dans l’espace, les puissances spatiales sont responsables et doivent répondre des dommages imputables à une faute de leur part (ou des acteurs dont ils répondent).

Ces trois principes du droit de l’espace créent, ainsi, un régime juridique lourd de conséquences pour les Etats, et ce notamment du fait des risques élevés inhérents à ces activités. Les obligations qu’ils imposent sont d’autant plus strictes qu’il est prévu une pluralité d’Etats solidairement responsables, de telle sorte qu’il devrait être impossible de se trouver face à une carence de responsables en cas de dommage.

Vers une remise en question ?

En résumé, après soixante ans d’activité, le secteur spatial s’est toujours soumis à sa réglementation originaire, contrairement à certains domaines d’activité dont le corpus légal s’est vu transformé au gré des progrès réalisés.

Les principes du droit de l’espace ont été pensés et rédigés selon une ambition particulièrement idéaliste, voire utopique. Mais, s’ils demeurent encore aujourd’hui, c’est notamment grâce à une rédaction des plus ambiguë. L’absence de précision sur le sens précis des principes de «bienfait de l’humanité» et de «non-appropriation» a permis une interprétation mouvante au gré des besoins des puissances spatiales et du progrès technique.

Par ailleurs, la responsabilisation des Etats, très lourde de conséquences, trouvait sa légitimité dans le fait que peu d’acteurs participaient aux activités spatiales, qu’ils étaient principalement publics, qu’il s’agissait d’un phénomène nouveau, soumis à des risques non maîtrisés… Aujourd’hui, la mainmise du secteur privé sur ces activités invite à en repenser les mécanismes de réparation.

Ainsi, alors que les volontés d’exploitation des ressources spatiales naturelles se font désormais de plus en plus pressantes, ces principes sont aujourd’hui réinterprétés de manière à permettre de telles activités à l’échelle nationale. Le «new space» semble présager une météo agitée dans l’approche juridique des activités spatiales. Espérons que les conséquences de cette dernière se rapprochent plus des orages magnétiques à l’origine des aurores polaires que de l’explosion d’une géante rouge…

Fréderic Forster
Johanna Chauvin
Lexing Constructeurs informatique et télécoms

(1) « Le droit de l’espace : entre autonomie et dépendance » Post du 3-4-2018
(2) Résolution 1962 (XVIII) des Nations unies, Déclaration des principes juridiques régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmopshérique, 13-12-1963, New York, Documents officiels de l’Assemblée générale, dix-huitième session, Supplément n° 15 (A/5515), p. 13.
(3) Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 27-1-1967, New York, 1967, RTNU, Vol. 610, p. 205.
(4) Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes, 5-12-1979, New York, 1983, RTNU, Vol. 1363, p. 3.

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