Rappel procédural sur l’expertise judiciaire

expertLa Cour de cassation fait un rappel procédural sur l’expertise judiciaire à propos du recours contre une décision désignant un expert.

Elle est récemment venue réaffirmer sa position tout en l’affinant sur l’article 1843-4 du Code civil.

La question de l’évaluation des parts ne manque généralement pas de se poser compte tenu de l’aspect conflictuel qu’elle peut susciter.

La jurisprudence a pu largement s’exprimer sur la question et sur les contours de la procédure prévue à l’article 1843-4 du Code civil qui a vocation à s’appliquer à toutes les sociétés dotées de la personnalité morale qu’elles soient civiles ou commerciales.

Par l’arrêt ci-après commenté en date du 7 juin 2018, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion d’affiner sa position sur son interprétation de l’absence de recours contre une décision judiciaire désignant un expert sur la valorisation des droits sociaux (1).

Les faits litigieux et la procédure judiciaire

En l’espèce, en raison d’un litige relatif à la détermination de la valeur de droit sociaux, une expertise judiciaire avait été ordonnée par le président du tribunal de grande instance en application des dispositions de l’article 1843-4 du Code civil.

Ultérieurement à cette ordonnance désignant l’expert judiciaire, une requête en rectification d’erreur matérielle avait été déposée et une seconde décision avait été rendue visant à rectifier la première ordonnance.

Sur cette seconde décision, une des parties avait formé un pourvoi en cassation à son encontre.

C’est précisément ce pourvoi que la Cour de cassation a jugé irrecevable aux motifs que l’article 1843-4 du Code civil s’appliquait, par sa généralité, au pourvoi en cassation comme à toute autre voie de recours et que la décision qui statuait sur la rectification d’une prétendue erreur matérielle ne pouvait être frappée d’un pourvoi en cassation en raison du fait que la décision rectifiée n’était pas elle-même susceptible d’un tel recours.

Par cette décision de rejet, la Cour de cassation réitère sa position mais la précise un peu plus en faisant, en quelque sorte, l’application procédurale de la formule selon laquelle « l’accessoire suit le principal » : la première ordonnance devant faire l’objet d’une rectification étant insusceptible de recours, la seconde ordonnance ayant pour objet de la rectifier n’était pas non plus susceptible d’un recours.

Petit rappel procédural sur l’expertise judiciaire

Pour rappel, l’article 1843-4 du Code civil, qui est d’ordre public, prévoyait dans sa rédaction antérieure à l’intervention gouvernementale ayant procédé à sa modification que :

Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible.

Bien que l’ordonnance n°2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés ait procédé à une refonte de l’article 1843-4 du Code civil en mettant un terme aux difficultés suscitées par ce texte ou, plus exactement, par l’application qui en était faite par la jurisprudence sur le fait que l’expert n’était pas tenu de respecter les prévisions des parties dans sa mission, les aspects procéduraux de la procédure du recours à l’expert judiciaire de l’article 1843-4 du code précité n’ont pas été bouleversés.

A cet égard, la compétence revient toujours au président du tribunal de commerce pour les sociétés commerciales et au président du tribunal de grande instance pour les sociétés civiles et la saisine de la juridiction se fait toujours par la partie la plus diligente.

En outre, les pouvoirs du président saisi restent inchangés : celui-ci peut uniquement choisir le nom de l’expert et, le cas échéant, prononcer son remplacement mais il ne peut pas procéder lui-même à l’évaluation du prix de cession ou encore encadrer la mission de l’expert en lui donnant par exemple des directives dans les méthodes de valorisation des droits sociaux en cause.

Enfin, la décision de justice ordonnant la désignation ou non d’un expert sur le fondement de l’article précité n’a pas non plus évolué après l’ordonnance de 2014 : aucun recours n’est possible sauf dans le cas d’un recours pour excès de pouvoir.

L’exception du recours pour excès de pouvoir

L’excès de pouvoir, qui est rarement retenu par les juridictions devant lesquelles la contestation est élevée, vise l’hypothèse d’une méconnaissance par le juge de l’étendue de ses pouvoirs juridictionnels qui lui sont conférés par la loi.

Pour les autres hypothèses de recours, le texte, inchangé sur ce point, et la jurisprudence sont clairs : l’exclusion des recours s’applique aussi bien au pourvoi en cassation, qu’à l’appel, l’opposition ou la tierce opposition et vise aussi bien la désignation de l’expert ou bien son remplacement ou encore le refus par le juge de procéder à la désignation d’un expert judiciaire pour la valorisation des droits sociaux litigieux.

L’arrêt en question nous éclaire un peu plus sur cette prohibition : les décisions de justice découlant de la décision de justice statuant sur la désignation de l’expert visé à l’article 1843-4 du Code civil ne sont pas susceptibles de recours… sauf en cas d’excès de pouvoir.

Pierre-Yves Fagot
Maxime Guinot
Lexing Droit de l’entreprise

(1) Cass. com 7 juin 2018, n°17-18722.

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