Référencement payant : la libre concurrence supplante la marque

référencement payantVirginie Brunot – Référencement payant : par son arrêt du 14 mai 2013 (1), la Cour de cassation franchit un pas de plus en faveur du principe de liberté de la concurrence sur internet face aux titulaires de marques. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 19 janvier 2012 (2) ayant condamné le titulaire d’une marque au titre de la concurrence déloyale pour avoir empêché un concurrent d’utiliser sa marque dans le cadre d’un programme de référencement payant.

Pour mémoire, une société Sogelink, spécialisée dans la commercialisation de solutions en ligne relatives à la gestion des procédures pour la localisation des réseaux à proximité des chantiers et l’échange de données entre les entreprises de travaux, les collectivités et les exploitants de réseaux avait procédé au dépôt, en 2000, d’une marque DICT.FR.

Editeur de logiciels pour les réseaux extérieur, la société Sig-Image avait assigné la société Sogelink en nullité de cette marque pour défaut de distinctivité, faisant valoir que le terme « dict » constitue, dans le langage professionnel, l’acronyme de « déclaration d’intention de commencement de travaux ».

Face à cette assignation, le titulaire de la marque avait répliqué invoquant des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale à l’encontre de son concurrent lui reprochant, notamment, d’avoir réservé le mot-clé « dict.fr » dans le cadre du programme de référencement payant AdWords du moteur de recherche Google pour donner accès à son propre site directservices.fr.

Parallèlement, il notifiait ses droits au moteur de recherche Google afin de faire supprimer le référencement du site directservices.fr à partir du mot-clé « dict.fr ». Suite à la décision d’annulation de la marque DICT.FR en première instance, la société Sogelink interjetait appel du jugement rendu. Par arrêt du 19 janvier 2012, la Cour d’appel de Lyon avait été conduite à rendre un jugement de Salomon, infirmant la décision en ce qu’elle avait prononcé l’annulation de la marque et condamnant chacune des parties au titre de la concurrence déloyale :

– la société Sig Image pour avoir démarché la clientèle de la société Sogelink en se faisant passer pour cette dernière ;

– la société Sogelink pour avoir demandé au moteur de recherche de « faire les démarches nécessaires pour que son seul site internet dict.fr sorte sur la requête dict.fr », privant ainsi son concurrent « d’un moyen commode et licite d’accès à une clientèle spécialisée et donc de générer un chiffre d’affaires important » alors même qu’un tel usage ne peut être interdit par le titulaire de la marque, que sous réserve que la publicité concerné ne permette pas ou seulement difficilement d’identifier l’origine de la proposition.

L’intérêt de l’arrêt ne portait pas tant sur la question de la validité de la marque – dont l’acquisition du caractère distinctif par l’usage relève de l’appréciation souveraine des juges du fond – que sur la décision de condamnation du titulaire de la marque pour avoir fait usage de la faculté proposée par le moteur de recherche à l’époque, de notifier ses droits afin de bloquer la réservation du signe protégé à titre de mot-clé.

Il convient en l’espèce de rappeler que cette notification et ce blocage sont intervenus avant les décisions Google de la CJUE du 23 mars 2010 qui, répondant aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation, avait posé les conditions dans lesquelles le titulaire d’une marque est habilité à en interdire l’usage dans le crade d’un programme de référencement payant, énonçant, pour droit que

« (…) le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement payant sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers » (3).

La solution est motivée, en arrière-plan, par la mise en perspective des deux principes essentiels que constitue la libre concurrence d’une part et le droit privatif du titulaire de la marque, d’autre part. Cette mise en perspective apparaît de manière explicite, un an plus tard dans la décision Interflora, par laquelle la CJUE indique qu’il :

« importe de souligner que, si la marque constitue un élément essentiel du système de concurrence non faussé que le droit de l’Union entend établir, elle n’a cependant pas pour objet de protéger son titulaire contre des pratiques inhérentes au jeu de la concurrence.

Or, la publicité sur Internet à partir de mots clés correspondant à des marques constitue une telle pratique, en ce qu’elle a, en règle générale, pour simple but de proposer aux internautes des alternatives par rapport aux produits ou aux services des titulaires desdites marques » (4).

Préalablement à ces décisions, la jurisprudence majoritaire retenait, en matière de référencement payant, la responsabilité de l’annonceur ayant réservé le mot-clé correspondant à la marque d’un tiers pour déclencher un lien vers un site proposant des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lequel le signe est protégé aux motifs que l’internaute moyennement attentif « se voyant proposer sur la même page l’affichage de tous les sites ensemble sera enclin à faire la relation entre ces « liens commerciaux » » et la marque alors que ce lien permet, en réalité d’accéder à des sites concurrents (5).

La responsabilité du moteur était généralement retenue aux cotés de l’annonceur, en raison de la suggestion et/ou du stockage des mots clés litigieux ainsi que de l’organisation de l’affichage des annonces déclenchées par lesdits mots clés. Ce sont ces solutions qui avaient conduit le moteur de recherche à proposer aux titulaires de droits un processus de notification permettant de bloquer la réservation d’un signe correspondant à une marque ou signe distinctif protégé. Et c’est donc légitimement que la société Sogelink avait cru pouvoir demander le blocage du mot clé correspondant à sa marque afin d’empêcher le déclenchement d’annonces concurrentes à partir de ce terme.

Ce processus prendra fin en 2010 avec les décisions de la CJUE plaçant les moteurs de recherche sous le régime de responsabilité allégé accordé aux prestataires techniques. En posant les conditions de l’interdiction de la réservation du mot clé correspondant à une marque dans le cadre des programmes de référencement payant, la CJUE va amplement modifier le cadre jurisprudentiel en la matière.

Dès lors et à la suite des décisions rendues par la Cour de cassation le 13 juillet 2010 en application des arrêts Google, les juges du fond vont, de manière générale :

– écarter la responsabilité du moteur de recherche dans le cadre des actions en contrefaçon engagée à leur encontre à raison du programme de référencement payant faisant usage d’un mot-clé correspondant à une marque ;
– limiter la responsabilité de l’annonceur aux cas dans lesquels l’annonce en question ne permet pas ou permet difficilement à l’internaute de rechercher si l’annonce provient du titulaire de la marque, d’un tiers économiquement lié ou, au contraire d’un tiers.

L’application d’un faisceau d’indices permet généralement de conclure à la responsabilité de l’annonceur lorsque l’annonce en question reproduit la marque elle-même lors de l’affichage sans qu’aucun élément ne vienne contrarier l’impression selon laquelle l’annonceur n’est pas le titulaire de la marque. Et c’est, en tirant les conséquences de ces décisions que la Cour d’appel de Lyon, dont l’arrêt échappe ici à la censure, écarte le grief de contrefaçon, considérant que le titulaire de la marque ne justifiait par de l’existence du risque de confusion lié à l’origine des services visés par l’annonce.

Mais plus encore, la Cour d’appel va retenir la responsabilité du titulaire de la marque lui-même qui, en se rapprochant du moteur de recherche pour bloquer le déclenchement d’annonces commerciales à partir du mot-clé identique à sa marque « a indûment fait perdre à [son concurrent], dont rien à cette époque ne permettait de soupçonner la loyauté, une chance de proposer son service à des internautes connaissant déjà le service dict.fr ». Reprochant à l’arrêt de s’être ainsi prononcé, le titulaire de la marque sollicitait la cassation de ce dernier faisant notamment valoir :

« que les éventuels manquements d’un opérateur économique ne s’apprécient qu’au regard du droit positif existant à l’époque des faits qui lui sont reprochés ; qu’en jugeant que le fait, pour la société Sogelink, d’avoir « demandé au prestataire de référencement de « faire les démarches nécessaires pour que son seul site internet dict.fr sorte sur la requête dict.fr » », constituait une faute, après avoir constaté qu’« il a pu pendant un certain temps être considéré que le titulaire de marque disposait d’un tel droit » et que ce n’est qu’après le 23 mars 2010, date à laquelle la CJUE s’est prononcée sur ce point, que les titulaires de marque ont été informés de ce que le succès de leur action à l’encontre des annonceurs réservant leurs marques à titre de mot-clé était subordonné à certaines conditions, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;

(…) qu’une faute ne peut être de nature à engager la responsabilité civile de son auteur que sous réserve qu’elle ait causé un dommage à celui qui l’invoque ; qu’en retenant que la société Sogelink avait commis une faute à l’égard de la société Sig-image, de nature à engager sa responsabilité civile à l’égard de cette dernière, en demandant au prestataire de référencement payant de « faire les démarches nécessaires pour que son seul site internet dict.fr sorte sur la requête dict.fr », quand la société Sig-image affirmait qu’elle n’avait « à aucun moment … utilisé l’adword DICT.fr », la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ; (…) ».

La réponse de la Cour est particulièrement intéressante. En effet, la société Sogelink mettait en avant le bien-fondé de sa démarche qui était, à l’époque, justifiée tout à la fois par la jurisprudence dominante et par les instruments de notification des droits mise en place par le moteur de recherche pour limiter les risques d’action à son encontre.

Il est vrai qu’à la date à laquelle la société Sogelink notifie ses droits sur la marque DICT, la CJUE ne s’est pas encore prononcée, les tribunaux nationaux retiennent régulièrement la responsabilité du moteur de recherche au titre de la contrefaçon de marque conduisant celui-ci à mettre en place un système de notification de droits.

La question se posait alors de savoir si la société Sogelink pouvait engager sa responsabilité en faisant bloquer l’affichage d’annonces concurrentes à partir de sa marque alors même qu’à l’époque des faits, non seulement aucune décision n’avait été rendue en ce sens mais, plus encore, ce blocage apparaissait comme un moyen légitime de prévenir les atteintes aux droits du titulaire sur sa marque.

La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement proposé par cette dernière rappelant que « l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit, la société Sogelink ne saurait se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée dès lors qu’elle ne prétend pas avoir été privée du droit à l’accès au juge ».

Cette solution n’est pas sans rappeler la position de la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets (OEB) qui, appelée à statuer sur la question de la brevetabilité des programmes d’ordinateurs et face à une jurisprudence fluctuante, voire contradictoire, avait rappelé que « la jurisprudence ne se développe pas toujours de manière linéaire dans de nouveaux domaines juridiques et/ou techniques, et que des approches antérieures peuvent être abandonnées ou modifiées » (6).

Si la solution est légitime, la sanction apparaît sévère pour une société qui pensait tout aussi légitimement, exercer les droits qui lui semblaient être sien. On retiendra de cette décision, l’impérieuse nécessité, avant toute action, de se tenir informer des tendances jurisprudentielles, notamment dans des matières aussi évolutive que celles touchant à l’internet et au référencement payant. Au-delà du cas d’espèce, on relèvera également que le principe de libre concurrence marque un pas de plus sur le droit de propriété du titulaire de la marque.

Désormais, non seulement la reprise de la marque d’un concurrent dans le cadre d’un programme de référencement payant sur internet ne constitue pas, par définition, une atteinte au titulaire du droit sur la marque, mais au contraire, le titulaire de la marque ne peut, sans autorisation, entreprendre des mesures techniques destinées à faire cesser un tel usage.

Dès lors, toute mesure qui aurait pour objet ou pour effet d’empêcher un acteur économique de faire usage de la marque d’un concurrent suppose une autorisation judiciaire préalable qu’il s’agisse d’une ordonnance sur requête ou d’une ordonnance de référé rendue dans l’attente de la décision sur le fond.

(1) Cass. com.,pourvoi n°12-15534, 14-5-2013, Sogelink c. Sig-Image.
(2) CA Lyon, Ch. civ. 1 A, RG n°09/07831, 19-1-2012, SAS Sogelink c. SARL Sig-Image.
(3) CJUE Grande Ch., aff. jointes C?236/08 à C?238/08, Google France SARL, Google Inc. c. Louis Vuitton Malletier SA (C?236/08) ; Google France SARL c. Viaticum SA, Luteciel SARL (C?237/08) ; Google France SARL c. Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL, Pierre-Alexis T., Bruno R. et Tiger SARL (C?238/08), 23-3-2010.
(4) CJUE Ch.1, aff. C?323/09, Interflora Inc., Interflora British Unit c. Marks & Spencer plc, Flowers Direct Online Ltd, 22-9-2011, points 57-58.
(5) CA Versailles 23-3-2006 n° 05-00342 12e ch. Google France c.SARL CNRRH.
(6) Office Européen des brevets, Grande Chambre de recours, aff. G 0003/08, 12-5-2010.

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