Le régime juridique des jeux vidéo est-il trop hasardeux ?

Le régime juridique des jeux vidéo est-il trop hasardeux ?

La diffusion des musiques des jeux vidéo, à l’occasion d’un tournoi amateur, provoque une réclamation de la Sacem.

Il s’agit d’une actualité qui, si ses enjeux n’étaient pas conséquents pour l’avenir du jeu vidéo, serait reléguée à la rubrique des faits divers. Une association d’amateurs de jeux vidéo organise une manifestation au centre culturel de l’Université de Bourgogne. Cette manifestation propose, à titre gratuit, des tournois entres amateurs autour des jeux vidéo célèbres tels que Pokémon et Street Fighter. Lors de ces tournois, des musiques des jeux vidéo, émanant des hauts parleurs affectés aux consoles, sont audibles dans la salle. Quelques jours plus tard, la Sacem, organisme de gestion collective des droits d’auteur portant sur les œuvres musicales, réclame à l’association le paiement des droits relatifs à la diffusion publique des musiques des jeux vidéo concernées par la manifestation.

Si les faits relatés ci-dessus relèvent d’une application particulièrement sévère du droit d’auteur, il n’en demeure pas moins que des réclamations similaires sont susceptibles d’être formées par les divers ayants droit des œuvres musicales composant les jeux vidéo, et ce en raison du régime juridique applicable à celui-ci.

En effet, la Cour de cassation considère que le jeu vidéo « est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l’importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature (1) ». Autrement dit, il n’existe pas un seul régime juridique pour le jeu vidéo : chacun des composants du jeu vidéo, dont notamment les sons, les composants logiciels, les images animées et d’éventuels dialogues, est soumis à son régime juridique propre.

Entrent ainsi en jeu les divers acteurs concernés par ces créations, dont notamment les organismes de gestion collective dans le domaine de l’audiovisuel et celui de la musique.

Acteurs puissants de l’économie de la culture, les organismes de gestion collective sont chargés de collecter, gérer et distribuer les revenus de l’exploitation des droits, au nom des artistes ou leurs ayants droit, qui leur ont délégué cette tâche. Ces organismes sont omniprésents sur le marché français : ainsi, en matière de musique, la Sacem représente plus de 157.000 créateurs de musique en France et détient un répertoire de plus de 100 millions d’œuvres.

Les professionnels avisés de l’industrie des jeux vidéo ont donc pour pratique d’obtenir, auprès des organismes de gestion collective concernés, les autorisations nécessaires à l’intégration au sein de leurs créations des composants sonores dont ces organismes assurent la gestion des droits de leurs auteurs. Toutefois, ces autorisations pourraient s’avérer insuffisantes pour permettre aux utilisateurs finaux de diffuser au public les contenus issus du jeu vidéo. La cession des droits d’auteur est en effet soumise au principe d’interprétation restrictive en vertu des articles L. 122-7 et L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, cette dernière disposition légale précisant par ailleurs que toute transmission des droits d’auteur n’est valable que si chacun des droits cédés a fait l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et le domaine d’exploitation, l’étendue et la destination des droits cédés sont délimités.

Compte tenu de l’essor de l’e-sport, ainsi que la reconnaissance par la loi pour une République numérique des compétitions de jeux vidéo, faudrait-il simplifier ce régime juridique à géométrie variable applicable au jeu vidéo en vue de permettre le développement, dans des conditions plus sereines, de ces nouveaux écosystèmes ?

A ce jour, seuls des développements incrémentaux pourraient être envisagés. En 2011, une mission parlementaire a conclu que « les pouvoirs publics et les partenaires doivent, tout à la fois, renoncer à créer un statut juridique propre au jeu vidéo et reconnaître la nécessité d’aménager le cadre du droit d’auteur existant pour répondre à certaines de ses spécificités ». Cette conclusion a été réitérée par le rapport de Monsieur Chantepie, établi en décembre 2013 à la demande du ministère de la Culture et de la Communication, dans la continuité de la mission parlementaire de 2011.

Marie Soulez
Viraj Bhide
Lexing Contentieux Propriété intellectuelle

(1) Cass. 1e civ. 25-6-2009, n°07-20387 M. X c/ Sté Sesam

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