Règles d’évaluation du préjudice en matière de parasitisme

préjudice en matière de parasitisme

La Cour de cassation a approuvé une règle précise d’évaluation du préjudice en matière de parasitisme dans un arrêt du 12 février 2020 (1).

Un préjudice en matière de parasitisme portant sur le « made in France »

Deux entreprises concurrentes situées dans la même ville commercialisaient des produits d’arts de la table. L’une était spécialiste des produits en cristal, qu’elle faisait tailler en France alors que l’autre vendait des produits de différentes matières et faisait tailler ses produits en cristal à l’étranger.  La seconde, avait un coût de revient beaucoup plus faible, tout en se présentant comme spécialiste de la taille du cristal, en laissant croire que tous ses produits étaient en cristal et « made in France ».

A l’issue d’une procédure judiciaire, la Cour d’appel de Paris a retenu qu’en trompant le consommateur sur la composition, l’origine et les qualités substantielles de ses produits, l’entreprise fautive s’est assuré un avantage concurrentiel au préjudice de sa concurrente.

Elle l’a condamné pour actes de concurrence déloyale par pratique commerciale trompeuse à payer une somme de 300.000 euros en réparation du préjudice de sa concurrente (2).

L’évaluation du préjudice par la Cour d’appel

Pour chiffrer le montant du préjudice, la Cour d’appel a relevé que la tromperie sur le lieu de taille du cristal avait permis à l’entreprise fautive de réaliser une importante économie de coût de revient par rapport à l’entreprise loyale. Elle a constaté que la victime réalisait un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros, pour un coût de taille représentant 25% de son chiffre d’affaires, alors que l’autre réalisait 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour un coût de taille de 10% de son chiffre d’affaires.

L’arrêt a alors procédé au calcul suivant, sur la base de la demande de la victime :

préjudice en matière de parasitisme

Considérant que, si l’entreprise fautive n’avait pas bénéficié d’un avantage compétitif indu, elle aurait supporté un coût de taille de 25% de son chiffre d’affaires, comme la victime, soit 1.250.000 €, l’arrêt a chiffré son économie indue à 750.000 € (1.250.000 € – 500.000 €), soit 15% de son chiffre d’affaires. Elle chiffre alors le préjudice de la victime en rapportant ces 15% d’économie à son chiffre d’affaires, soit un montant de 300.000 € (2.000.000€ X 0,15).

Rappel des principes fondamentaux de l’évaluation des préjudices

Dans son pourvoi en cassation, l’entreprise fautive développait notamment le moyen selon lequel « la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier, sans qu’il puisse en résulter ni perte ni profit pour la victime, et ne saurait être fixée en considération du profit ou de l’économie réalisé par l’auteur du dommage ».

La Cour répond à ce moyen en rappelant plusieurs principes fondamentaux de l’évaluation des préjudices :

  • « le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle » ;
  • « le juge apprécie souverainement le montant du préjudice, dont il justifie l’existence par la seule évaluation qu’il en fait, sans être tenu d’en préciser les divers éléments » ;
  • « méconnaît son office le juge qui refuse d’évaluer un dommage dont il a constaté l’existence en son principe » ;
  • « En matière de responsabilité pour concurrence déloyale, la chambre commerciale retient qu’il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d’un acte de concurrence déloyale ».

Puis, la Cour explique que ce dernier principe répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer. Elle relève que cette difficulté est présente en ce qui concerne les pratiques consistant à :

  • parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d’un concurrent, ou
  • s’affranchir d’une réglementation, actes qui permettent à l’auteur des pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisant un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.

La prise en compte de l’avantage compétitif indu

La Cour conclut que lorsque tel est le cas, « il y a lieu d’admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectées par ces actes ». Elle rejette ainsi le moyen du pourvoi qui soutenait que le préjudice ne pouvait être fixé en considération du profit ou de l’économie réalisé par l’auteur du dommage.

Alors qu’il est assez rare que la Cour de cassation précise des règles d’évaluation du préjudice, qui sont habituellement définies souverainement pas les juges du fond, plusieurs règles d’évaluation en matière de parasitisme découlent de cette décision très pédagogique de la chambre commerciale :

  • Le juge du fond peut être moins exigent envers le demandeur lorsque la preuve de l’étendue de son préjudice est difficile à rapporter, notamment lorsque celle-ci nécessiterait d’engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu ;
  • Le préjudice peut être évalué en prenant en considération l’économie indûment réalisée par l’auteur des pratiques, lorsque le préjudice de la victime est difficile à évaluer et dans la mesure où le montant de cette économie est modulé en fonction des volumes d’affaires respectifs des parties.

Si ces règles ne peuvent qu’être favorables aux demandeurs en réparation en matière de parasitisme, il reste à déterminer dans quelle mesure elles pourront être étendues à d’autres domaines juridiques.

Bertrand Thoré
Lexing Département Economie juridique

(1) Cass. com. 12 février 2020, Pourvoi n°17-31614.
(2) CA Paris pôle 5, chambre 1, 19 septembre 2017.

 

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