Rupture brutale des relations commerciales : durée du préavis

Rupture brutaleLa durée du préavis est l’élément clef de l’indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales.

Durée du préavis et indemnisation

L’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce sanctionne la rupture brutale de la relation commerciale établie entre professionnels, lorsqu’elle est prononcée « sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».

Sur le fondement de ces dispositions, les juridictions réparent les préjudices causés par la brutalité de la rupture et non par la rupture elle-même. Selon une jurisprudence bien établie, le principal préjudice réparé en cas de rupture brutale correspond à la marge brute (chiffre d’affaires moins coûts de revient directs) que la victime aurait réalisée dans le cadre de la relation avec son partenaire, pendant la durée du préavis qui aurait dû être exécuté.

En l’absence d’usage ou d’accord interprofessionnel, la durée du préavis qui aurait dû être accordé est fixée en considérant un critère principal prévu par la loi : l’ancienneté de la relation commerciale. Il est généralement considéré que les juges retiennent un mois de préavis par année de relation commerciale.

Relation linéaire entre durée du préavis et durée de la relation

254 décisions de justice rendues entre 2000 et 2017, dans lesquelles une rupture brutale a été sanctionnée, ont été analysées afin de définir, dans les solutions retenues, l’influence de la durée de la relation commerciale sur la durée du préavis.

Le nuage de points ci-dessous représente graphiquement la relation linéaire entre la durée de préavis accordée par les tribunaux et l’ancienneté de la relation commerciale. La valeur du coefficient de détermination R2 de la droite d’équation de la courbe (R2 = 0,4094) indique qu’environ 41% de la variation de la durée du préavis retenue est expliquée par la durée de la relation commerciale. En d’autres termes, un peu moins de la moitié de la variation de la durée de préavis est expliquée à elle seule par la durée de la relation commerciale :

Le résultat de cette analyse permet déjà de nuancer l’idée selon laquelle, dans des dossiers de rupture brutale, pour chaque année de relation commerciale est accordé un mois de préavis.

D’après la disposition des points (et donc la pente de la courbe), le lien entre la durée de la relation et la durée du préavis retenu parait en effet plus faible.

A titre d’exemple, d’après cette estimation, une relation commerciale de quinze ans entrainerait en moyenne la fixation d’un préavis égal à : (0,0352 x 15 + 0,4051) = 0.9331 année, soit environ 11 mois (0,9331 x 12 = 11,2).

Cependant, la disposition du nuage de points sur le graphe semble indiquer que l’évolution de la durée du préavis en fonction de la durée de la relation commerciale n’est pas si linéaire. En effet, l’impact de la durée de la relation sur la durée du préavis retenu semble diminuer lorsque la durée de la relation augmente.

Relation quadratique entre durée du préavis et durée de la relation

Afin de prendre en compte cet effet et d’ajouter une nouvelle dimension à l’analyse, il est possible de mettre en place un modèle de régression quadratique du type y = α + βx + γx².

L’introduction du terme quadratique permet, non seulement de mesurer l’impact de la durée de la relation sur la durée du préavis, mais aussi de voir comment cet impact évolue avec la durée de la relation. En d’autres termes, il permet de répondre à la question suivante : est-ce que le lien qui existe entre durée de la relation et durée du préavis retenu est similaire entre une relation de moins de 10 ans (par exemple) et une relation de plus de 50 ans ?

Le nuage de points ci-dessous représente graphiquement la relation quadratique entre la durée de préavis accordée et l’ancienneté de la relation commerciale. La valeur du coefficient de détermination R2 de la droite d’équation de la courbe est égal à 0,4176, soit légèrement plus que dans le précédent modèle (semblant ainsi montrer que la valeur explicative du modèle a été augmentée par l’introduction du terme quadratique) :

Le résultat de cette régression permet d’affiner la démonstration du précédent modèle. La forme concave de la courbe montre que l’intensité du lien (qui se lit graphiquement par le niveau de pente de la courbe) entre la durée de la relation et la durée du préavis retenu diminue lorsque la durée de la relation augmente.

Pour reprendre l’exemple précédent, en se fondant sur ce modèle, une relation commerciale de quinze ans entrainerait en moyenne la fixation d’un préavis égal à : (-0.0003 x 15² + 0.0474 x 15 + 0.3316) = 0.9751 année, soit environ 12 mois.

Le tableau ci-dessous présente les simulations réalisées à l’aide des deux modèles pour des durées de relation égales à 10, 20 et 50 ans :

Ces résultats permettent d’illustrer que le modèle quadratique prend en compte l’ampleur de la durée de la relation dans la mesure de son impact sur la durée du préavis. En effet, pour des relations plus courtes, l’impact relatif d’une année supplémentaire de relation est plus important (10 et 20 ans dans le tableau ci-dessus). A l’inverse, pour une relation très longue, une année supplémentaire de relation n’a plus qu’un impact très faible sur la durée du préavis supplémentaire retenue (50 ans dans le tableau ci-dessus).

Conclusion

Ainsi, même si la valeur explicative des modèles reste imparfaite, modéliser la fixation de la durée du préavis retenu par le juge est possible. Certains facteurs difficiles à mesurer, qui ont pourtant un impact sur la durée du préavis retenue par le juge, ne sont pas pris en compte dans ce modèle, tels que la part du chiffre d’affaires réalisé grâce à la relation, la nature de l’activité ou la forme de la relation.

Ces modèles permettent néanmoins d’apporter un complément explicatif (quantitatif) au travail de l’avocat (qualitatif), en particulier dans le domaine de la rupture brutale de  la relation commerciale, où les critères pris en compte par les tribunaux dans leurs évaluations sont assez précis.

Bertrand Thoré
Alexandre Nouvel
Lexing Département économie juridique

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