Sanction des opérateurs télécoms par l’Arcep

ArcepLe feuilleton de la mise en conformité des modalités d’accès aux fourreaux de France Télécom pour le déploiement du réseau en fibre optique de Numéricâble vient de connaître un nouveau rebondissement ! Les pouvoirs de l’Arcep sont inconstitutionnels sur un point de droit qui pourrait constituer, pour les opérateurs télécoms, une voie salutaire de contestation des procédures en cours et instances non définitivement jugées à ce jour.

Saisi par le Conseil d’État (1) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par les sociétés Numéricâble SAS et NC Numéricâble à propos d’une décision de l’Arcep, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de plusieurs dispositions de l’article L 36-11 du code des postes et des communications électroniques (CPCE).

Pour l’essentiel, les requérants invoquaient le défaut d’impartialité des décisions de sanction prononcées par l’Arcep, en méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel a déclaré le 5 juillet 2013 (2) les dispositions contestées inconstitutionnelles, dans la mesure où la séparation des fonctions d’instruction et de jugement de l’Arcep n’est pas assurée.

Les conditions dans lesquelles elle peut le faire, prévues par l’article L 36-11 du CPCE avaient pourtant été validées en 1996 par le Conseil constitutionnel (3). L’intervention de la procédure de la QPC après la révision du 23 juillet 2008 a toutefois relancé le débat.

Une sanction espérée et longtemps attendue !

Le cumul du pouvoir d’engager une procédure et de juger n’est, certes, pas contraire aux principes généraux du droit français (4) et à la jurisprudence européenne (5). Mais, l’article L 132 du CPCE (précisant que l’Arcep « dispose de services qui sont placés sous l’autorité de son président ») révèle le pouvoir hiérarchique du président de l’Arcep sur l’ensemble des services, ce qui implique un pouvoir d’instruction sur les services, un pouvoir de réformation et, enfin, un pouvoir de substitution.

Si ce pouvoir hiérarchique ne trouve en principe pas à s’appliquer s’agissant des poursuites en matière de sanction, il n’en reste pas moins que cet article L 132 conduit à une impression fâcheuse de confusion des rôles en matière de sanction. A cet égard, les opérateurs de communications électroniques se prévalent depuis plusieurs années (et les neuf sages de la rue Montpensier leur ont finalement donné raison !) de la « théorie des apparences » pour constater que le directeur général est largement soumis au pouvoir hiérarchique du président, ce qui faisait naître des doutes objectifs sur son indépendance en matière de poursuites.

Au plan de l’apparence, il existe donc une situation de partialité pour l’Arcep à apparaître comme un organe où les différentes fonctions d’accusation, de poursuite et de jugement ne sont pas strictement distinguées.

Un fondement juridique spécifique et autonome ?

Le Conseil constitutionnel ne mentionne pas expressément dans sa décision 2013-331 QPC le « droit au procès équitable », alors que la question s’y rapportait et que ce dernier droit est là encore rattaché depuis 2005 à l’article 16 de la Déclaration de 1789 (6).

Sans doute, le Conseil considère que l’atteinte avérée à l’impartialité le dispense de se prononcer sur celui tiré d’une atteinte à l’équité du procès (7). Cela permet, par ailleurs, au droit constitutionnel français d’apparaître comme un droit spécifique, autonome et propre (malgré une indiscutable convergence des interprétations constitutionnelle et conventionnelle).

L’absence d’annulation fondée expressément sur une atteinte à l’équité du procès serait-elle à mettre en perspective avec le caractère subsidiaire de ce droit en France ?

En tout état de cause, elle rend malaisée l’identification du fondement constitutionnel de l’ensemble des droits procéduraux et garanties des justiciables devant l’Arcep et les autres autorités de régulation. En effet, alors que les dispositions de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ont connu une très large postérité dans les secteurs régulés, le droit constitutionnel français à l’impartialité y reste quant à lui un droit encore méconnu : faut-il distinguer le droit à l’impartialité du droit à un procès équitable ? Faut-il présenter le droit à l’impartialité comme une exigence autonome ?

Si beaucoup d’encre a coulé sur la question de la compatibilité de la procédure des autorités de régulation avec les exigences du procès équitable, celle de l’apport potentiel du « principe d’indépendance et d’impartialité » (8) à la garantie des droits des opérateurs de communications électroniques a en revanche largement été passée sous silence.

Si d’une manière générale, il existe bien une interprétation convergente du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’interprétation des droits, des divergences peuvent subsister.

Il conviendra alors de mettre l’accent sur les différents problèmes pouvant survenir en la matière, principalement au regard de la jurisprudence constitutionnelle. C’est ainsi que devront être discutée :

  • les difficultés éventuelles concernant le respect du contradictoire et l’égalité des armes ;
  • l’impartialité des membres de l’Arcep dans l’hypothèse où l’un d’entre eux aurait eu à connaître d’un éventuel manquement à une réglementation à un stade ou à un autre de l’élaboration de cette même réglementation ;
  • le respect du droit d’accès à un tribunal dans l’hypothèse d’un refus de transmission d’un document administratif aux opérateurs de communications électroniques par l’Arcep ;
  • le respect du délai raisonnable de jugement du simple fait de l’instauration d’une nouvelle réglementation en cours de procédure de sanction ou de règlement de différend, etc.

Alain Bensoussan Avocats
Lexing Droit Télécoms.

(1) CE 29-4-2013 n° 356976 demandant l’annulation de la décision Arcep n° 2011-1469 du 20-12-2011.
(2) CC décis. 2013-331 QPC du 5-7-2013 sur le pouvoir de sanction de l’Arcep.
(3) CC décis. 96-378 DC du 23-7-1996 sur le pouvoir réglementaire et de sanction de l’Arcep.
(4) CE Ass. 3-12-1999, Didier, concl. Seban (en matière de contentieux de la fonction publique : CE 11-7-1958, Tordo ; CE 11-5-1960, Ministre de l’agriculture c/ Laniez ; CE 12-7-1969 n° 72648, Le Bris).
(5) De jurisprudence constante, le moment du procès équitable peut être retardé pour des impératifs de souplesse et d’efficacité, pour faciliter le travail des organes qui ne sont pas intégrés aux structures judiciaires ordinaires mais qui peuvent néanmoins être amenés à prendre des sanctions relevant de la matière civile (suspension ou retrait du droit d’exercice d’une profession) ou pénale (sanctions pécuniaires). La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère que 2 situations également acceptables peuvent se présenter : « ou bien lesdites juridictions remplissent elles-mêmes les exigences de l’article 6 § 1, ou bien elles n’y répondent pas mais subissent le contrôle ultérieur de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article » (CEDH 20-5-1998, Gautrin et a. c/ France ; 10-2-1983, Albert et Le Compte c/ Belgique ; 27-8-2002 n° 58188/00, Didier c/ France).
(6) Bien que le Conseil constitutionnel y fasse référence dès 2003 (CC 20-11-2003 n° 2003-484 DC), ce n’est qu’en 2005 (CC 20-1-2005 n° 2004-510 DC) que le droit au procès équitable a véritablement été reconnu comme principe à valeur constitutionnelle, fondé sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789.
(7) En ce sens, voir CC 2-7-2010 n° 2010-10 QPC, sur la composition des tribunaux maritimes commerciaux pour atteinte au principe d’indépendance et d’impartialité du juge.
(8) En 2003, le Conseil rattache l’indépendance des juges non professionnels à l’article 16 (CC 20-2-2003 n° 2003-466 DC), contrairement à l’indépendance des magistrats professionnels garantie de longue date par l’article 64 de la Constitution pour les juridictions judiciaires (CC 9-7-1970 n° 70-40 DC) et comme constituant un principe fondamental reconnu par les lois de la République, issu de la loi du 24 mai 1872, pour les juridictions administratives (CC 22-7-1980 n° 80-119 DC).

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