Téléchargement via Internet, une première

Le téléchargement d’œuvres musicales ou audiovisuelles fait l’objet d’un débat intense et nombreux sont ceux qui se sont exprimés sur le sujet. Récemment, le SNEP (Syndicat National de l’Édition Phonographique) s’est risqué à une publicité on ne peut plus explicite, d’ailleurs critiquée par certaines sociétés de gestions collectives, et, plus récemment encore, c’est le ministre de la culture, qui a annoncé un ensemble de mesures, de nature à lutter contre la contrefaçon via internet, en particulier par la voie de la prévention à l’attention des plus jeunes, dont on dit qu’ils sont les principaux acteurs du téléchargement pirate. Le tout s’inscrit dans le cadre d’une évolution législative en cours, avec l’adoption prochaine de la loi pour les droits d’auteurs et les droits voisins dans la société de l’information et, en particulier, avec l’ajout du  » droit de communication « , taillé sur mesure pour l’exploitation des œuvres via Internet.

La réflexion juridique ne serait pas complète, sans une intervention du monde judiciaire et l’amorce d’une jurisprudence. Voici qui est fait, avec la décision rendue le 29 avril par le Tribunal correctionnel de Vannes. Si, depuis plus de huit ans maintenant (1), il est acquis que la diffusion sans autorisation d’une œuvre protégée au sein d’un site web est une contrefaçon, il en est encore qui feignent de penser qu’il en serait autrement d’un partage de fichiers, de leur téléchargement ou encore de l’échange de CD, sur lesquels ces œuvres seraient gravées. Les industriels du secteur ont longtemps hésité à engager le bras de fer avec les internautes, mais voici, semble t-il, qu’est venu pour eux le temps de l’action, à tout le moins pour le secteur de l’audiovisuel, qui ne semble pas vouloir subir le sort de l’industrie musicale. L’affaire, dont a eu à connaître le Tribunal de Vannes, est d’ailleurs exemplaire, par la qualité des parties en présence : d’un coté six personnes poursuivies pour contrefaçon et recel d’objet contrefait pour avoir téléchargé et échangé en ligne des fichiers d’œuvres protégées (essentiellement des fichiers audiovisuels au format Divx et des fichiers musicaux au format MP3) ou, à défaut envoyé par voie postale des CD gravés des mêmes œuvres en vu de les échanger avec d’autres, le tout en se connectant sur un site web dédié à ce type d’échanges ; face à eux, rien de moins que la fine fleure de l’industrie cinématographique et vidéographique, des syndicats professionnels, la SACEM et la SDRM.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette première décision. Le premier est que, sur internet plus qu’ailleurs, le contrefacteur est identifiable. Il l’est d’abord au travers des mots clefs et annonces qu’il diffuse en l’occurrence  » copie de films au format Divix « , ce qui le rend clairement visible et en fait une cible privilégiée. Par la suite, que l’adresse électronique soit  » en clair  » ou non ne change pas grand chose à l’affaire et il suffit, bien souvent, d’une réquisition ou d’une ordonnance sur requête, suivant la procédure, pour obtenir de la part des opérateurs Internet le nom et l’adresse réelle des utilisateurs. Il se peut que la chose se complexifie un peu dans certains cas, mais immanquablement, par naïveté ou par excès d’assurance, l’internaute commettra, tôt ou tard,  » La  » faute et se prendra dans le fils de la  » toile  » qu’il croyait protectrice.

Deuxième enseignement, le téléchargement et l’échange de fichiers sur lesquels l’internaute ne dispose pas d’une autorisation des auteurs et titulaires de droits voisins est une contrefaçon, conserver et notamment graver ces fichiers sur support CD est également constitutif d’un recel d’objet contrefait. De fait, les 6 prévenus ont tous été condamnés à des peines d’emprisonnement non négligeables, dont la plus élevée est de 3 mois. Il faut, en effet, rappeler qu’il n’existe que deux (1) exceptions majeures au monopole de reproduction de l’auteur : la copie à usage privé du copiste et la représentation dans le cercle de famille. Il n’est pas besoin d’être un fin juriste, pour comprendre que le partage de fichiers ou la diffusion de ces mêmes fichiers sur Internet n’est pas un usage privé …  » du copiste « , mais confère à l’usage collectif, et qu’il ne saurait être question ici de réaliser des  » collections personnelles  » ; que, par ailleurs, si les internautes forment une grande communauté, ils ne forment pas une  » grande famille « , et que la notion de cercle de famille ne saurait trouver, là non plus, motif à s’appliquer. Enfin, troisième enseignement, le caractère gratuit ou non ne change rien à l’affaire, comme cela a été précisé par le tribunal, qui a fait procéder à l’analyse des comptes bancaires des internautes concernés, afin de vérifier qu’aucun d’eux n’avait tiré profit de ces  » échanges « . Il convient, cependant, de tempérer cette analyse, car si cela ne change rien quant à la qualification juridique des faits, cela a tout changé pour le tribunal, lorsqu’il s’est agit de prononcer la peine, puisque les peines d’emprisonnement ont toutes été assorties du sursis.

Si le législateur ou le juge confirment, ainsi, que télécharger des œuvres protégées sans autorisation est un acte répréhensible, il faut constater que ni la prévention, ni la répression, ne semblent suffisant à mettre un terme à ce type d’usage aujourd’hui omniprésent et il sera sans doute difficile aux industriels de s’attaquer à l’ensemble des internautes. Les solutions seront donc sans nul doute ailleurs : offre de service licites à faible coût, protection des fichiers, licence légale, … sous réserve, et rien n’est moins sûr, qu’il ne soit pas déjà trop tard pour les industriels, dont le manque d’initiative et d’anticipation est sans doute tout aussi fautif que celui des internautes.

Lexing Alain Bensoussan Avocats
Département Internet et Télécoms

(1) TGI Paris, Ord.Référé n° 60138/96 et 60139/96, 14 août 1996, Sté ART Music France et Sté Warner Chappell France c. M. Sardou et Brel CTS.
(2) Il en existe plus que deux : analyses et courtes citations.
« Téléchargement via Internet », article paru dans les Echos le 16-6-2004.

Retour en haut