Human Brain Project : premier projet international d’Open Science ?

Human Brain ProjectHuman Brain Project – Appréhender et comprendre le cerveau humain est l’un des grands défis scientifiques du 21ème siècle. L’enjeu humain est fondamental, les maladies du cerveau deviennent, du fait de l’allongement de l’espérance de vie, une des premières causes de mortalité en France et dans le monde.

Ce défi ambitieux ne peut être mené et remporté qu’en faisant interagir les connaissances biologiques et médicales avec la puissance des nouvelles technologies de l’information.

Dans le cadre du projet « Human Brain », projet scientifique visant à modéliser et simuler numériquement le fonctionnement du cerveau humain, la technologie devient un véritable acteur du développement scientifique.

 1. Les acteurs du projet Human Brain

Le Human Brain Project fédère plus de 130 institutions de recherche dans le monde. Il sera coordonné par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en Suisse, par le neurobiologiste Henry Markram avec comme codirecteurs Karlheinz Meier de l’Université de Heidelberg, Allemagne, et Richard Frackowiak du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) et de l’Université de Lausanne (Unil).

La France coordonne trois des axes importants du projet : la théorie des réseaux neuronaux, les neurosciences cognitives, et les aspects éthiques. Le projet implique la participation du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) mais également de l’Institut Pasteur, du Collège de France, du Centre hospitalier universitaire de Vaudois (CHUV) et de l’Université Victor Segalen Bordeaux II.

2. Qu’est-ce que le Human Brain Project ?

2.1 Aspect économique

En janvier 2013, la Commission européenne a apporté son soutien à ce projet en le sélectionnant pour être l’un des deux projets financés par son nouveau programme FET Flagship (« projets phares »). Le projet est soutenu financièrement à hauteur d’un milliard d’euros sur dix ans, son coût total étant estimé à 1,19 milliard d’euros.

2.2 Aspect technique

Le projet Human Brain est organisé sur une période de dix ans (2013–2023). La première phase du projet a été lancée le 7 octobre 2013 pour une durée de trente mois. Au cours de cette phase seront créées et testées six plateformes de recherche TIC (technologies de l’information et de la communication), dédiées respectivement à la neuro-informatique, la simulation du cerveau, au High Performance Computing (HPC), à l’informatique médicale, la neuro-morphique informatique et la neuro-robotique.

La neuro-informatique est indispensable à la modélisation informatique des nombreuses et complexes connaissances relatives au fonctionnement cérébral.

Le Human Brain Project utilise également des supercalculateurs de type « High Performance Computing », utilisant des calculateurs super puissants et des logiciels d’acquisition, de modélisation ou d’analyse capables d’exécuter plusieurs milliards d’opérations à la seconde pour modéliser des phénomènes complexes. Les supercalculateurs aujourd’hui ont une puissance de calcul qui se mesure en PétaFLOPS (10 puissance 15 FLoating point Operations Per Second) (1). La barre de l’ExaFLOPS (10 puissance 18 FLOPS) est prévue pour être franchie en 2020. La plateforme High Performance Computing du Human Brain Project compte beaucoup sur les grands acteurs privés du secteur (IBM, Cray, Intel et Bull) pour atteindre la barre de l’ExaFLOPS et accroître la puissance de calcul dont le projet a nécessairement besoin.

L’intervention de la neuro-robotique nécessite également d’appréhender le projet au regard des différentes applications techniques de la robotique : la mécatronique, les logiciels embarqués, les nanomatériaux, l’intelligence artificielle.

2.3 Aspect juridique

Cette convergence de la biologie et de la technologie sera le nid de nombreuses études, découvertes, avancées, inventions, innovations, réalisées par des acteurs publics ou privés et soumis à des qualifications et régimes juridiques de protection divers.

En effet et à titre d’exemples :

  • les écrits scientifiques (les articles, revues, ouvrages, la littérature grise…) sont protégeables par le droit d’auteur, sous réserve de leur originalité ;
  • les supercalculateurs sont dotés de logiciels ultra-puissants protégeables par le droit d’auteur (CPI L. 112-2, 13) et certainement par le droit des brevets (CPI L. 611-10, 2° et 3) ;
  • les algorithmes, les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques produisant un « effet technique supplémentaire »(2) lors de leur mise en œuvre peuvent également se voir reconnaitre la protection du droit des brevets ;
  • la cartographie fonctionnelle ou les cartes multi-échelles du cerveau pourraient relever de la protection du droit d’auteur sur le fondement de l’article L.112-2, 12° du Code de la propriété intellectuelle en tant que « plans, croquis (…) relatifs aux sciences », sous réserve de la preuve de leur originalité ;
  • les bases de données qui seront constituées sont protégeables à deux titres : par le droit d’auteur et par le droit du producteur de base de données.

A contrario, la connaissance, le savoir, les idées et principes, mais également les écrits purement techniques ou descriptifs sont de libre parcours et peuvent être librement réutilisés.

La particularité du droit de la propriété intellectuelle (droit d’auteur, droit des brevets, droit des marques, droit des dessins et modèles et droit sui generis du producteur de base de données) est d’octroyer à l’auteur de la création, au déposant du brevet ou au producteur de la base de données un monopole d’exploitation. Toute personne qui souhaite reproduire, combiner, divulguer une création doit demander préalablement l’autorisation de son auteur.

3. Les enjeux du projet Human Brain

En matière de recherche scientifique, ces monopoles d’exploitation, empêchant la réappropriation des travaux de recherche sans l’autorisation préalable de leur auteur, se heurtent à l’intérêt supérieur de la recherche scientifique et en l’espèce à la philosophie de l’Human Brain Project qui est présentée par l’Inserm « comme un processus continu d’intégration interdisciplinaire et d’itération, dont la convergence ultime devrait permettre une compréhension unifiée des mécanismes et des principes de fonctionnement du cerveau ».

La réussite du projet Human Brain est en effet nécessairement conditionnée par une interaction forte entre les différents acteurs du projet et une libre circulation des connaissances scientifiques issues du projet.

Les dispositions légales relatives à la propriété intellectuelle applicables en Europe et issues de la directive DADVSI 2001/29CE (3) posent un cadre juridique très protecteur de l’auteur, du créateur et ne permet pas aujourd’hui d’opposer à l’auteur qui ferait « cavalier solitaire » de mettre ses créations à disposition de la communauté scientifique. Une réforme de la directive européenne pourrait aller dans ce sens et introduire une exception au monopole des auteurs fondée sur la recherche scientifique.

Le projet « Human Brain » pourrait également s’inscrire dans le cadre des orientations prises par plusieurs institutions internationales (Unesco, G8, Horizon 2020) et par plusieurs pays (Etats-Unis, Grande Bretagne, Allemagne) dont la France sur le libre accès à la connaissance scientifique, l’Open Science. La mise en place d’un libre accès à la connaissance scientifique doit s’accompagner de l’élaboration de règles éthiques notamment de règles prônant le respect de la paternité des chercheurs. La présence d’acteurs de nombreux pays pourrait favoriser l’émergence du premier projet Open Science au niveau international.

Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Droit Propriété intellectuelle

(1) En 2013, le plus puissant supercalculateur au monde est la machine chinoise Tianhe-2, qui affiche 33,86 pétaflops de puissance de calcul – Classement Top 500 Juin 2013
(2) OEB Ch. des recours techniques IBM I T 1173/97 du 1-7-1998 ; IBM II T 935/97 du 4-2-1999.
(3) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001.

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