Les pouvoirs de sanction de l’Arcep exigent de l’indépendance

Les pouvoirs de sanction de l'Arcep exigent de l'indépendanceDe nouvelles dispositions du Code des postes et des communications électroniques (CPCE) viennent préciser les conditions dans lesquelles l’Arcep exerce son pouvoir de sanction des opérateurs télécoms et des acteurs d’internet, dans le respect du principe d’impartialité.

Contexte. Le 5 juillet 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les douze premiers alinéas de l’article L 36-11 du Code des postes et communications électroniques (CPCE), consacrés à l’exercice par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) de son pouvoir de sanction (1).

En l’occurrence, a posé problème le rôle joué par le directeur général de l’Arcep qui, nommé par le président de celle-ci, est placé sous son autorité et assiste aux délibérations. Il revenait au directeur général d’adresser la mise en demeure à l’exploitant de réseaux ou au fournisseur du réseau, mise en demeure par laquelle s’ouvre la procédure de sanction (2). Or, les services de l’Arcep sont placés sous l’autorité du président de cette autorité. En conséquence, les dispositions du CPCE n’assuraient pas la séparation au sein de l’Arcep entre, d’une part, les fonctions de poursuite et d’instruction des éventuels manquements et, d’autre part, les fonctions de jugement des mêmes manquements.

Une impartialité adaptée aux spécificités de la régulation des télécoms. Le gouvernement s’est orienté vers une séparation analogue à celle de la Cnil, à savoir une séparation fonctionnelle avec une scission du collège de régulation en deux sous-collèges distincts dans le cas d’une procédure de sanction (3). C’était d’ailleurs le vœu émis par l’Arcep qui souligna la difficulté qu’il aurait à transposer purement et simplement à l’Arcep l’architecture retenue pour l’Autorité de la concurrence (4) ; ici, la singularité de la régulation sectorielle est déterminante puisqu’il faut respecter l’indépendance statutaire exigée des directives de l’Union pour les « autorités nationales règlementaires » dans le secteur des communications électroniques (5). Une telle exigence d’indépendance n’existe pas pour l’Autorité de la concurrence.

Ainsi, l’article L 130 du CPCE institue une formation restreinte chargée de prononcer les sanctions et composée des trois membres du collège le plus récemment nommés, à l’exception du président de l’Arcep. Les membres de la formation restreinte ne prennent pas part aux délibérations de l’Arcep relatives aux règlements de différends, à l’ouverture d’une enquête administrative ainsi qu’aux mises en demeure.

A cet égard, les nouvelles dispositions prévoient aussi que l’Arcep peut désormais rendre publique ses mises en demeure et les assortir d’obligations de se conformer à des étapes intermédiaires.

Les acteurs ou services sur internet également concernés. L’article L 36-11 du CPCE a également été modifié : l’Arcep peut désormais sanctionner un fournisseur de services de communication au public en ligne (FSCPL), ce qui en pratique correspond aux fournisseurs (éditeur, diffuseur) de services, de contenus et d’applications offerts au public par voie électronique (portails, services de musique, services audiovisuels, etc.), en particulier via l’internet, mais pas uniquement (par exemple, chaînes de télévision diffusée par ADSL). Google, Facebook, Dailymotion ou encore Amazon font partie des FSCPL dont les sites internet sont les plus visités en France. Mais il convient de rappeler qu’un simple consommateur mettant des informations à disposition sur l’internet peut aussi constituer un FSCPL.

Cet ajustement met fin à l’inégalité entre les opérateurs et les acteurs d’internet. En effet, alors qu’un acteur d’internet pouvait, en cas de méconnaissance de la décision de règlement de différend par l’opérateur télécoms, saisir l’Arcep d’une demande de sanction à son encontre, l’inverse n’était pas possible auparavant. Désormais, la méconnaissance de toute décision de l’Arcep réglant un différend pourra donc être sanctionnée, quelle que soit la nature juridique de l’activité exercée par la partie au différend.

Conclusion. Les modalités d’application de ces nouvelles dispositions seront précisées prochainement par décret. Mais force est de constater déjà que la décision du Conseil constitutionnel relative à l’Arcep a eu des implications limitées. Ces nouvelles dispositions n’ont assurément pas bouleversé l’organisation de cette autorité administrative indépendante ! Elles confirmeraient donc que la Constitution n’impose pas une séparation organique au sein des autorités de régulation avec une architecture institutionnelle distinguant entre un collège pour décider des poursuites et une commission des sanctions. Ce modèle a été pourtant retenu pour l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de contrôle prudentiel, la Commission de régulation de l’électricité ou encore l’Hadopi.

Frédéric Forster
Edouard Lemoalle
Lexing Droit Télécoms

(1) Cons. const. Décis. 2013-331 QPC du 5-7-2013, Sté Numéricâble SAS et autre.
(2) La mise en demeure de l’Arcep vise à exiger de l’exploitant ou du fournisseur le respect d’une obligation ; la sanction peut être prononcée lorsque l’exploitant ou le fournisseur ne se met pas en conformité dans les délais fixés à la mise en demeure. Le mécanisme est classique pour les autorités administratives indépendantes puisqu’il s’agit d’une procédure en deux temps, la mise en demeure, tout d’abord, dont le non-respect conduit à une sanction, ensuite. C’est pourquoi la mise en demeure comporte un délai dans lequel la personne faisant l’objet de la mise en demeure doit se mettre en conformité avec les exigences formulées.
(3) Ord. 2014-329 du 12 mars 2014 relative à l’économie numérique.
(4) Avis 2014-0191 du 11-2-2014 portant sur un projet d’ordonnance relative à l’économie numérique.
(5) Dir. 2002/21/CE du 7-3-2002, art 3.

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