Article CT : E-learning : aspects juridiques

E-learning, aspects juridiques

Paru dans l’Informatique Professionnelle en février 2004

Chloé Torres

L’e-learning, qui n’est pas, selon une décision récente du Tribunal de grande instance de Nanterre, une marque valable pour un organisme de formation (1), est l’objet de toutes les attentions et suscite l’engouement des investisseurs. Répondant à un réel besoin et correspondant à un vrai métier, l’e-learning introduit une dimension technologique et internationale dans le transfert du savoir, qui nécessite un encadrement juridique fort.

La première démarche consiste à qualifier juridiquement le service proposé

Le  » learning « , c’est-à-dire de l' » apprentissage « , se traduit en effet en France par deux concepts : celui de formation et celui d’enseignement, lesquels relèvent de régimes juridiques différents. La première difficulté réside donc dans la qualification du projet d’e-learning, afin de déterminer le dispositif légal applicable. Une fois la qualification définie, se pose le problème de la transposition des référentiels juridiques aux médias électroniques. Le référentiel juridique de la formation, qui relève du code du travail, impose aux organismes de formation certaines obligations, dont l’application à l’e-learning n’est pas aisée. A titre d’exemple, l’organisme de formation doit procéder à une déclaration préalable auprès des  » services compétents de l’Etat et de la région  » (2). Or, l’e-learning est par nature plurirégional. Cette déclaration, région par région, n’est donc pas sans poser de difficultés. Parmi les autres obligations figure, notamment, celle d’élaborer un contrat devant, non seulement, comporter les mentions obligatoires visées à l’article L 920-1 du Code du travail (moyens pédagogiques et techniques mis en œuvre…), mais aussi des dispositions spécifiques au support de formation utilisé (Internet, Intranet…). Des stipulations relatives notamment à la preuve, à la sécurité, à la fraude informatique, à l’archivage, à la protection des données personnelles, aux modalités de paiement (dans l’hypothèse où le prix de la formation pourrait être réglé en ligne), à l’authentification et l’identification des participants ou encore à la loi applicable devront être insérées.

Les règles applicables à l’enseignement à distance sont, quant à elle, définies par le Code de l’éducation. Les articles L 444-7 et L 444-8 du Code de l’éducation prévoient les conditions dans lesquelles l’enseignement à distance peut être donné aux élèves. Ces articles imposent, notamment, la rédaction d’un contrat spécifique d’enseignement à distance. Des dispositions spécifiques, tenant compte du support utilisé (Internet…) et de l’absence de  » présence physique  » des parties, devront, ici encore, figurer au contrat.

La seconde démarche consiste à gérer les droits d’auteurs sur les modules de formation.

Il conviendra de déterminer, au préalable, si le contenu des formations utilisées peut être ou non qualifié d’œuvre de l’esprit, c’est-à-dire s’il porte la marque de l’apport personnel de leur auteur. Dans l’affirmative, la cession des droits de reproduction et/ou de représentation obéit à un formalisme spécifique, imposant la présence de certaines mentions dans le contrat. Le Code de la propriété intellectuelle exige, en effet, que soient précisées l’étendue de l’exploitation, sa destination, sa localisation, sa durée. Concernant plus particulièrement l’étendue et la destination des droits qui seront accordés aux organismes de formations, il conviendra de gérer de manière spécifique la question de l’adaptation de l’œuvre et, notamment, de sa traduction. Il est probable que le contenu de la formation que souhaiteront acquérir les organismes de formations soit en langue étrangère. C’est pourquoi, il conviendra de prévoir sa traduction, qui suppose l’autorisation de l’auteur.

Le contenu de formation devra, en outre, pouvoir être adapté au public, auquel il sera destiné. Cette adaptation, parfois qualifiée de  » localisation « , est réalisée en fonction des contraintes socioculturelles spécifiques de l’univers de réception, par rapport au contexte de la création. A ce titre, l’article L.112-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que  » Les auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des oeuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale (…) « . Il sera donc nécessaire de gérer, au sein de la licence qui sera conclue entre les organismes de formations et le ou les auteurs des formations, la question de la propriété de l’œuvre dérivée, constituée par la traduction ou l’adaptation du contenu de la formation.

Par ailleurs, du fait de l’utilisation possible de l’Internet, il convient d’évoquer l’application des conventions internationales en la matière, à savoir : la convention de Berne, du 9 septembre 1986,
modifiée à plusieurs reprises, la convention de Genève, conclue le 6 septembre 1952 sous l’égide de l’UNESCO, et le Traité de Marrakech, signé le 15 avril 1994, concernant les aspects de droit de propriété intellectuelle touchant au commerce. Ces conventions internationales instaurent des normes juridiques minimales, en termes de protection des auteurs. En toute hypothèse, il est conseillé aux organismes de formation et aux auteurs de respecter le standard le plus élevé de protection, de manière à se prémunir contre toute action éventuelle en contrefaçon et ce, d’autant qu’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 mai 1999 a reconnu que  » si les auteurs d’ouvrages scolaires dont les programmes sont établis par l’éducation nationale ne peuvent revendiquer de droits (d’auteur) sur lesdits programmes, ils peuvent néanmoins marquer les ouvrages de leur personnalité et bénéficier ainsi de droits d’auteur notamment pour la présentation des exercices, leur classement dans un certain ordre et pour la conception de sujets et d’exercices mettant en œuvre les programmes et les capacités des élèves à qui ils sont destinés « . S’agissant de modules créés par des agents publics (universitaires…), les concepts de  » documents libres  » et de licence en ligne de documents libres pourraient être adoptés, et ce d’autant que l’avant projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information prévoit que droits de propriété intellectuelle des agents de l’Etat sont dévolus, de façon automatique, à la personne publique.

Le cas particulier des bases de données

Les formations, dont souhaitent disposer les organismes habilités, peuvent enfin être partiellement constituées de bases de données, qui ne sont protégeables par le droit d’auteur que si elles sont originales, tant au niveau de leur structure qu’au niveau de leur contenu. La définition de la base de données  » recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen  » est suffisamment large pour recouvrir les contenus pédagogiques, qui seraient transmis par le biais d’un réseau (internet, intranet) dans le cadre d’une activité d’e-learning. La loi envisage un régime de protection par le droit d’auteur, pour ce qui est de la structure de la base de données, c’est-à-dire  » le choix ou la disposition des matières « . La structure est également représentée par les éléments nécessaires au bon fonctionnement ou à la consultation de certaines bases de données, telles que le thésaurus et les systèmes d’indexation. Cette structure peut donc donner prise à une protection par le droit d’auteur, à la condition toutefois qu’elle présente une originalité. Sur ce point, la loi définit l’originalité d’une base de données comme étant une  » création intellectuelle  » propre à l’auteur. En outre, le contenu même de la base de données pourra faire, lui aussi, l’objet d’une protection par le droit d’auteur, à raison de son originalité.

Mais l’importance des investissements réalisés pour la constitution de certaines bases de données qui, faute d’originalité, ne peuvent bénéficier de cette protection, a rendu nécessaire l’élaboration en 1998 d’un régime de protection spécifique adapté à leur singularité, afin de protéger les droits non seulement sur la structure de la base, mais également sur le contenu, à raison de l’investissement réalisé. Ainsi, les bases de données, dont la structure n’a pas de caractère original, peuvent néanmoins bénéficier d’un droit sur le contenu, dès lors qu’il y a eu un investissement financier, matériel ou humain substantiel, consenti pour la collecte, ou la vérification ou encore la présentation de leur contenu. Ce régime donne le droit au créateur de la base de données d’interdire l’extraction (soit le transfert sur un autre support, soit toute forme de mise à disposition du public) de la totalité ou d’une partie substantielle de la base de données, évaluée de façon qualitative ou quantitative. Ce droit d’interdire une telle extraction est accordé à l’auteur (producteur) de la base de données lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu atteste un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif. Contrairement à la durée de protection des droits d’auteur (70 ans), le droit des producteurs de bases de données, institué par la loi du 1er juillet 1998, est d’une durée de quinze ans, à compter du 1er janvier de l’année qui suit la date de l’achèvement de la base de données. Inversement, l’utilisateur de la base dispose du droit d’extraire ou de réutiliser une partie non substantielle du contenu de celle-ci, même à des fins commerciales, à condition de ne pas entrer en conflit avec l’exploitation  » normale  » de la base, ni de léser, de manière injustifiée, les intérêts du producteur de celle-ci.

Il peut, toutefois, arriver que le contenu des formations en ligne ne fasse l’objet ni d’une protection par le droit d’auteur, ni par le droit des producteurs. En effet, ces formations pourraient être constituées d’un simple savoir-faire, qui ne serait pas matérialisé sous une forme originale. Or, la notion de savoir-faire ne fait pas l’objet d’une définition juridique, de nature légale ou réglementaire. En revanche, aux termes d’une jurisprudence constante, l’absence de protection par le droit d’auteur n’entraîne pas une liberté totale. En effet, l’utilisation d’éléments non couverts par un droit privatif doit respecter les règles relatives à la concurrence déloyale. C’est ainsi que des reproductions contraires à la loyauté, nécessaire à l’exercice du commerce, ou des actes déloyaux distincts de la reproduction elle-même, ont été condamnés dans différents domaines, concernant des créations qui n’étaient pas éligibles à une protection par le droit d’auteur. En toute hypothèse, si le contenu des formations utilisées par les organismes habilités ne fait pas l’objet d’un droit privatif dans le champ de la propriété intellectuelle, le droit commun de la responsabilité civile peut s’appliquer, au titre de la concurrence déloyale et parasitaire. Ainsi, les règles relatives à l’action en concurrence déloyale ou à l’action fondée sur les agissements parasitaires peuvent permettre de sanctionner des actes de piratage. Il n’en demeure pas moins qu’il est prudent de contractualiser les droits et obligations des utilisateurs.

(1) TGI Nanterre, 2ème chambre, novembre 2001

(2)Article L 920-4 du Code du travail

« Chloé Torres »

Avocat – Responsable d’activité au sein du département Internet et Télécommunications

chloe-torres@alain-bensoussan.com

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