Economie juridique-JP39

Economie juridique

Jurisprudence

La difficulté de rapporter la preuve d’un gain qui n’a pas été réalisé


Promotion de moyens de fraude à la télévision payante(1)

Un site internet a proposé, de juin à décembre 2001, des informations, des logiciels et des cartes permettant d’accéder gratuitement et frauduleusement aux programmes de plusieurs chaînes de télévision à péage et notamment de TPS.

L’opérateur de télévision par satellite a poursuivi devant la juridiction pénale le particulier ayant créé et exploité ce site. Celui-ci a été condamné pour promotion publicitaire de moyens de captation frauduleuse de programmes télédiffusés réservés à un public d’abonnés, mais le tribunal a débouté TPS de sa demande de réparation au titre d’un préjudice économique.

La décision de première instance a été confirmée par la Cour d’appel de Paris (2), l’arrêt ayant considéré que les préjudices économiques invoqués avaient un caractère purement éventuel et qu’il n’était pas démontré qu’ils découlent de l’infraction.

L’enjeu

Il est généralement difficile de justifier le montant d’un manque à gagner. Les preuves matérielles sont inexistantes puisqu’il s’agit d’un événement qui ne s’est pas produit (un gain qui n’a pas été réalisé).


Le juge du fond qui constate un préjudice doit le réparer

TPS avait évalué ce préjudice à partir du nombre, connu, de visites effectuées sur le site frauduleux (80 000). Elle considérait ensuite que 5% de ces visiteurs (soit 4 000 personnes) avaient dû effectivement accéder gratuitement à ses programmes, pendant 6 mois (durée de fonctionnement du site), qu’elle proposait alors pour 25 euros par mois. Elle chiffrait son préjudice à 600 000 euros (4 000 X 25 € X 6 mois).

Pour écarter la réparation de ce préjudice, la cour d’appel avait relevé que son évaluation reposait sur une double hypothèse : celle du nombre de visiteurs ayant effectivement mis en œuvre les moyens proposés, fixé arbitrairement à 5% des visiteurs, et le fait que ces fraudeurs auraient souscrit un abonnement à ses programmes.

La cour de Cassation souligne que l’arrêt d’appel, en constatant que de nombreuses personnes avaient eu accès au site promouvant les moyens de captation des programmes, avait lui-même reconnu l’existence du préjudice invoqué.

Dès lors, rappelant qu’il appartient aux juges du fonds de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont ils reconnaissent l’existence, la cour casse l’arrêt en considérant qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher l’étendue de ce préjudice et d’en prononcer la réparation, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation.

Les conseils

La Cour de cassation rappelle régulièrement qu’il découle de l’article 1382 du Code civil que tout préjudice dont l’existence est reconnue doit être réparé. La demande de réparation doit donc d’abord s’attacher à :

démontrer que les faits sont nécessairement à l’origine d’un gain manqué, puis
fournir à la juridiction les informations permettant d’en estimer l’étendue le plus précisément possible.

Notes

(1) Cass. crim. 8 mars 2005, TPS c. L.V
(2) CA Paris 13eme Ch., 14 mai 2004

Bertrand Thoré

Directeur du Département Economie juridique

bertrand-thore @alain-bensoussan.com

Paru dans la JTIT n°39/2005 p.7

Retour en haut