La bonne foi admise pour l’auteur d’un article jugé diffamatoire

la bonne foiLa Cour de cassation se prononce sur la bonne foi des auteurs d’un article jugé diffamatoire envers une société industrielle de l’agro-alimentaire (1).

A la suite d’un article mis en ligne sur internet en 2012 intitulé «Pillage ? Bolloré, Crédit agricole, Louis Dreyfus : ces groupes français champions de l’accaparement des terres», celui-ci a été repris par d’autres site internet, en tout ou partie, certains par le biais d’écrits renvoyant à l’article litigieux. La société Bolloré a attaqué en justice les deux auteurs de l’article et les directeurs de publication des sites internet du chef de diffamation envers particulier sur le fondement de l’article 29 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

Par un arrêt du 9 février 2017, la Cour d’appel de Paris a confirmé la relaxe des prévenus prononcé par le tribunal correctionnel et débouté la société de ses demandes au motif de la bonne foi des auteurs de l’article litigieux, et, en conséquence, des différents directeurs de publication qui l’ont relayé sur le fondement de la jurisprudence développé autour de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

D’une part, car les propos mis en cause participaient à la rédaction d’un article assumé comme militant et polémique et ne dépassant pas les limites de la liberté d’expression. D’autre part, parce que les propos remplissaient les conditions du fait justificatif de bonne foi permettant d’exonérer de leur responsabilité les auteurs de l’article ; soit :

  • la recherche d’un but légitime dans les propos tenus,
  • l’absence d’animosité personnelle,
  • la prudence dans l’expression,
  • l’existence d’une enquête préalable sérieuse, permettant de s’assurer de la véracité des sources.

La société en cause s’est pourvue en cassation.

L’importance attachée à la notion d’intérêt général pour apprécier la bonne foi

Par un arrêt du 7 mai 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme le jugement rendu par la cour d’appel. Pour ce faire, elle a procédé à l’examen des propos incriminés et jugé que l’article litigieux traitait d’un sujet d’intérêt général concernant l’achat et la gestion, par des multinationales de l’agro-alimentaire, de terres agricoles essentiellement situés en Afrique, en Asie et Amérique latine qui ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression. Le caractère d’intérêt général, sur lequel porte les propos, apparait ainsi comme un élément essentiel d’appréciation de la bonne foi.

La cour précise que l’article mis en ligne portait sur une base factuelle suffisante constituée par plusieurs rapports d’organismes internationaux ce qui veut dire que les propos incriminés s’inscrivaient non seulement dans un débat d’intérêt général mais reposaient également sur des informations fiables dans le respect de la déontologie journalistique.

A ce titre, la Cour de cassation a considéré qu’il suffisait que les cosignataires de l’article aient disposé d’éléments de nature à étayer les deux séries d’imputations jugées diffamatoires, sans que puissent leur être reprochées des omissions ou approximations sur le détail des faits.

Le fait justificatif de bonne foi admit au profit des auteurs bénéficie aux directeurs de publication des sites internet.

Elle a ensuite confirmé la mise hors de cause des directeurs de publication en estimant que l’existence de faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi des auteurs a pour effet d’exclure tant leur responsabilité que celle des directeurs de publication des organes de presse l’ayant relayé, dès lors que les propos litigieux ont été repris sans dénaturation et sans qu’aucun élément nouveau n’ait été invoqué depuis la publication de l’article initial.

Les directeurs de publication, qui ont permis l’accès aux propos litigieux, accusés de complicité de diffamation ont donc bénéficié de l’exonération de sanction accordée aux deux auteurs de l’article pour bonne foi.

Ainsi, la Cour a rejeté le pourvoi de la société industrielle.

Chloé Legris
Raphaël Liotier
Lexing Contentieux numérique

(1) Cass. crim. 7-7-2018, n° 17-82663.

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