Projet Deovino : Programme culturel ou publicité ?

Projet DeovinoLe Projet Deovino est-il un programme culturel ou publicité ? La chaîne thématique Deo vino consacrée au vin et à la viticulture ne sera finalement pas lancée comme prévu le 31 octobre 2012 en raison d’un arrêt prononcé par le Conseil d’Etat le 11 juillet 2012 (1).

Projet Deovino, un projet de chaîne thématique interdit par le Conseil d’Etat

La convention conclue le 31 mai 2011 par le Conseil supérieur de l’audiovisuel avec la société Deovino qui prévoyait les conditions de diffusion de ce programme a en effet été annulée à la demande d’un concurrent de cette société, qui n’avait pas obtenu l’autorisation de diffusion de son propre projet de chaîne portant sur la même thématique.

Le Conseil d’Etat a jugé que ce projet de chaîne doit être qualifié de publicité en faveur des vins, et l’annulation de la convention est fondée sur l’article L. 3323-2 du Code de la santé publique qui ne comprend pas la télévision dans la liste des supports de diffusion limitativement ouverts à la publicité consacrée aux boissons alcooliques. Le Conseil d’Etat en déduit que « la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques est interdite à la télévision ».

Projet Deovino, une interdiction critiquable

Le caractère laconique de la motivation consacrée à la qualification de publicité attribuée au projet Deovino de chaîne est regrettable, compte tenu de l’importance de ce point de droit et de la rigueur avec laquelle il devrait en conséquence être traité.

  • L’absence de définition de la notion de publicité

A défaut de définition légale permettant d’en connaitre les critères de façon certaine et universelle, c’est-à-dire applicables dans tous les cas où cette qualification de « publicité » donne lieu à débat, il serait utile que les décisions judiciaires énoncent ceux qui ont été utilisés pour la retenir, ou au contraire pour l’écarter. Ceci aurait été d’autant plus indispensable en l’espèce, que la convention intervenue entre la société Deovino et le CSA avait prévu des conditions visant à maintenir le contenu des reportages de ce programme dans les limites de l’information à caractère culturel :

– exclusion de la dimension publicitaire et promotionnelle du vin et des boissons alcooliques,
– pas d’éléments spécifiquement laudatifs, complaisants ou promotionnels en faveur du vin et des boissons alcooliques,
– diffusion d’émissions de prévention contre l’abus d’alcool,
– interdiction de montrer des scènes de dégustation ou de consommation.

Le projet Deovino relevait plutôt, du fait de ces conditions, de l’exception prévue par la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 qui exclut la qualification de « communication commerciale », synonyme de « publicité », pour « les communications relatives aux biens, aux services ou à l’image de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne élaborées d’une manière indépendante, en particulier lorsqu’elles sont fournies sans contrepartie financière… ».

Il est en effet raisonnable de présumer que ce projet de chaîne n’étaient pas destiné à diffuser des reportages produits ou parrainés par des entreprises du monde viticole , ou des émissions consacrées à des entreprises ou à des produits viticoles déterminés, mais à des sujets d’intérêt général relatifs aux vins et à la viticulture.

  • Une qualification de publicité fondée sur le seul thème du projet Deovino

Le Conseil d’Etat n’est pas entré dans ce type de considérations, et a opté pour une forme de sévérité qui, pour être habituelle dans le domaine de la publicité en faveur des boissons alcooliques, n’en est pas moins discutable au regard de l’application faite des textes applicables en la matière.

Le thème du projet de chaîne en cause a en effet été estimé suffisant par le Conseil d’Etat pour lui attribuer la qualification de publicité, à s’en tenir à la motivation de son arrêt du 11 juillet 2012 : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le programme thématique « Deovino » est intégralement consacré au vin et à la viticulture et vise à en présenter les mérites et les attraits ; qu’eu égard à sa nature même, la diffusion de ce programme impliquerait une violation de l’interdiction , prévue par la loi, de toute propagande, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques sur les services de télévision ; que dès lors, en dépit des conditions restrictives prévues par certaines clauses de la convention conclue le 6 juillet 2011, le CSA a, en acceptant de la conclure, méconnu les dispositions de l’article L 3323-2 du Code de la santé publique ».

Toute évocation du monde des vins et de la viticulture revêt donc un caractère publicitaire, quel que soit le sujet abordé, la manière dont il est traité, et la personne physique ou morale qui a pris l’initiative de lui consacrer un reportage, une émission ou un article.

  • Une forme de sévérité habituelle

L’intransigeance de ce mode de raisonnement fait écho à celle de la définition de la publicité illicite en faveur des boissons alcooliques que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cru devoir adopter pour justifier la condamnation des responsables du magazine « Action Auto Moto », pour avoir publié lors de l’annonce des résultats du grand prix de Formule 1 d’Australie de 2002 , la photographie du gagnant sur un podium derrière lequel apparaissent les marques Foster’s et Champagne Mumm (2).

La Cour de cassation a en effet déformé la définition de la publicité indirecte en faveur d’une boisson alcoolique prévue à l’article L 3323-3 du code de la santé publique (3) en déclarant qu’« on entend par publicité illicite au sens des articles L 3323 -2, L 3323-3 et L 3351-7 du Code de la santé publique, tout acte en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique, sans satisfaire aux exigences de l’article L 3323-4 du même code ». Alors que la publicité indirecte en faveur d’une boisson alcoolique suppose l’existence d’une publicité en faveur d’un autre produit ou servie, la Cour de Cassation s’est contentée d’un « acte », c’est-à-dire en l’occurrence d’un article d’information.

  • Une sévérité mal fondée sur le plan juridique

Dans le Projet Deovino, le Conseil d’Etat se contente du sujet d’une chaîne thématique pour considérer qu’il ne peut être traité que dans un contexte et une finalité publicitaire. Ce mode de raisonnement ressemble fort à une condamnation à priori, fondée sur des présupposés aux lieu et place d’un examen des faits au regard des critères permettant de leur attribuer une qualification, dont découle la mise en œuvre des règles de droit qui leur sont applicables.

L’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme (4) devrait donc retrouver son empire, dans la mesure où il n’est pas démontré que l’annulation prononcée par le Conseil d’Etat repose sur des faits qui correspondent de façon indiscutable de ceux qui justifient la restriction à la liberté d’expression résultant des dispositions de l’article L 3323-2, à savoir l’interdiction de toute publicité à la télévision en faveur d’une boisson alcoolique.

(1) CE 11 juillet 2012 n° 351253 Société Media Place Partners.
(2) Cass. 3 novembre 2004, n° 04-81123.
(3) Art. L 3323-3 Code de la santé publique « Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique.(…) ».
(4) Convention Européenne des droits de l’Homme, art.10 :
1.Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière
Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique , à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

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