Réforme des contrats spéciaux : contenu du contrat d’entreprise

L’avant-projet de réforme des contrats spéciaux propose de moderniser les dispositions relatives au contrat d’entreprise. Ces modernisations concernent aussi bien la notion de « contrat d’entreprise » que son contenu.

La Commission Stoffel-Munck présente la réécriture des articles relatifs aux louages d’ouvrage et d’industrie comme « nécessaire ».

La qualification du contrat d’entreprise

Tout d’abord, il convient de noter que la Commission a abordé la question de la qualification de ce contrat. En effet, la qualification de louage d’ouvrage de l’article 1710 du Code civil paraissait obsolète. La Commission a envisagé deux options, celle du contrat de prestation de services ou celle du contrat d’entreprise. A noter que l’avant-projet de l’Association Henri Capitant avait opté pour celle du contrat de prestations de services.

La Commission a finalement décidé de retenir la dénomination de contrat d’entreprise. Les auteurs de l’avant-projet s’accordent à dire que le contrat de prestation de services constitue une large catégorie de contrats. Elle déborde sur celle de contrat d’entreprise et englobe d’autres contrats comme le dépôt ou le mandat (1).

La Commission affirme ainsi avoir voulu distinguer le « propre du contrat d’entreprise ». Soit « l’activité indépendante de l’entrepreneur dans l’accomplissement d’une prestation aux contours concrètement déterminés » (2). L’indépendance de l’entrepreneur permettant de distinguer le contrat d’entreprise du contrat de travail.

Ainsi, l’article 1755 de l’avant-projet le définit comme le contrat « par lequel l’entrepreneur réalise, de façon indépendante, un ouvrage au profit de son client, maître de l’ouvrage ». Cet ouvrage pouvant être « matériel ou intellectuel » et consister en « un bien ou service ». Cette formulation prend ainsi davantage en considération l’élargissement du contrat d’entreprise aux prestations intellectuelles.

Les conditions de validité

Ensuite, l’avant-projet de réforme vient reprendre les solutions jurisprudentielles concernant les conditions de validité du contrat d’entreprise. Il encadre ces conditions aux articles 1758 à 1760.

L’article 1758 dispose qu’il « est formé dès que les parties sont convenues de l’ouvrage à réaliser ». On peut tirer deux constatations de la rédaction de cet article.

D’une part, l’avant-projet ne soumet pas la validité du contrat à aucune autre condition autre que cet accord. D’autre part, le contrat d’entreprise demeure un contrat consensuel. Il ne fait que reprendre les solutions jurisprudentielles sur ce point (3).

Dans la continuation de l’article 1758 de l’avant-projet, l’article 1759 vient aborder une question jusque-là inédite, celle du devis. Ainsi, le devis a pour objectif de « décrire l’ouvrage à réaliser et à en estimer le prix ». Il présente un caractère facultatif pour les parties. L’avant-projet précise que le devis ne donne pas lieu à rémunération sauf stipulations contractuelles contraires. Mais également, que celui-ci engage l’entrepreneur pendant la durée fixée ou alors à défaut pendant un délai raisonnable.

Toutefois, l’avant-projet des contrats spéciaux s’abstient de préciser la nature du devis. On peut regretter cette omission en ce que la nature du devis détermine l’efficacité de sa rétraction (4). En effet, si on retient le devis comme une simple offre, la rétraction anticipée est efficace. Autrement dit, elle empêche la conclusion du contrat. Cependant, si on le considère comme une promesse unilatérale de contrat alors la rétraction anticipée sera inefficace.

La détermination du prix

Comme rappelé précédemment, l’avant-projet ne soumet la validité du contrat d’entreprise à aucune autre condition que l’accord à réaliser.

En conséquence, l’article 1160 de l’avant-projet affirme qu’il « est valablement formé sans accord préalable sur le prix ». La détermination du prix ne constitue pas une condition de validité du contrat d’entreprise. Il consacre la jurisprudence antérieure concernant le défaut d’accord des parties sur le montant exact de la rémunération de l’entrepreneur (5).

A défaut de fixation du prix par les parties, l’article 1160 précise que : « le juge le fixe en fonction de la qualité de l’ouvrage réalisé, des attentes légitimes des parties, des usages et de tout autre élément pertinent ».

Ainsi, l’avant-projet revient sur la faculté de détermination unilatérale du prix de l’actuel article 1165 du Code civil. Il la supprime au profit de la fixation judiciaire conformément à la jurisprudence antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. Le juge possède ainsi un véritable pouvoir de fixation du prix dans le contrat d’entreprise. Il ne contrôle plus seulement l’abus dans la fixation unilatérale du prix par l’une des parties.

La doctrine a salué cette confirmation. On peut relever cependant que l’avant-projet ne précise pas davantage les éléments pertinents à prendre en compte par le juge pour fixer le prix. Sans doute, la Commission a entendu laisser au juge une large marge de manœuvre.

L’article 1761 de l’avant-projet exclut la révision pour imprévision dans le cadre du contrat d’entreprise conclu à prix forfaitaire.

La révision des honoraires

Enfin, l’avant-projet vient consacrer la révision des honoraires dans le cadre du contrat d’entreprise. Le silence de l’ordonnance du 10 février 2016 avait engendré d’importantes interrogations sur le maintien ou non de cette solution. L’article 1762 de l’avant-projet y met fin, elle reprend la jurisprudence antérieure. Ainsi, dès lors que les honoraires ont été convenus avant l’achèvement de l’ouvrage, le juge peut « nonobstant toute clause contraire, en réduire le montant s’il l’estime excessif au regard de l’ouvrage réalisé ».

Certains auteurs regrettent toutefois que l’avant-projet n’aborde pas la révision des horaires dérisoires au regard de l’ouvrage réalisé (6).

En conclusion, l’avant-projet des contrats spéciaux vient opérer d’importants changements concernant le contrat d‘entreprise. Toutefois, ces règles ne sont pas sans apporter leur lot de questions nécessitant des réponses.

Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Jessica Pereira Quaresma
Lexing Contentieux et expertise informatique

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Notes :

  1. Sophie Moreil, « Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : le contrat d’entreprise – Présentation générale », Dalloz actualité, 11-10-2022
  2. Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, version commentée, textes.justice.gouv.fr, juillet 2022
  3. Cass. 3e civ. 17-12-1997 n° 94-20.709
  4. Sophie Moreil, « Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : le contenu du contrat d’entreprise », Dalloz actualité, 14-11-2022
  5. Cass. com. 29-01-1991 n° 89-16.446 ; Cass. 1e civ. 28-11-2000 n° 98-17.560.
  6. Marie Leveneur-Azémar, « Observations sur le contrat d’entreprise dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », RDC, 30-9-2022.
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