Concurrence : Ordonnance du 4 novembre 2004

Edito

L’ordonnance du 4 novembre 2004 et la modernisation du droit de la concurrence

L’adoption de l’ordonnance du 4 novembre 2004 , qui adapte le Code de commerce au droit communautaire de la concurrence, modifie certains aspects importants de notre droit interne de la concurrence.

En effet, cette ordonnance déclare pleinement applicable, tant devant le Conseil de la concurrence que devant les juridictions nationales, l’ensemble des dispositions du règlement 1/2003 du Conseil, qui modifie en profondeur les règles d’application des articles 81 et 82 du Traité CE.

L’ordonnance adapte en outre notre droit français de la concurrence aux évolutions du droit communautaire, par quelques réformes majeures du Code de commerce.

La réforme de certaines régles fondamentales de la procèdure devant le conseil de la concurrence

En premier lieu, certaines règles fondamentales de la procédure devant le Conseil de la concurrence sont modifiées :

  • Il en est ainsi du délai dans lequel le Conseil de la concurrence peut être saisi. La prescription, jusqu’ici triennale, devient donc une prescription quinquennale (article L. 462-7 du Code de commerce). La question de la rétroactivité ou non de ce nouveau délai de prescription, et son application aux prescriptions en cours, n’est en revanche pas réglée par l’ordonnance.
  • L’article L. 464-2 nouveau du Code de commerce, modifié par l’article 10 de l’ordonnance, relatif aux sanctions pouvant être prononcées par le Conseil de la concurrence, permet désormais à ce dernier « d’accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme aux pratiques anti-concurrentielles ».
  • Les engagements pris par les entreprises ou organismes pourront ainsi être rendus obligatoires par le Conseil de la concurrence, qui pourra également s’assurer de leur bonne exécution en prononçant des sanctions pécuniaires si les engagements ne sont pas respectés.

    Le Conseil de la concurrence voit par ailleurs son pouvoir de sanction renforcé puisque désormais, outre son pouvoir de prononcer des sanctions pécuniaires en cas de non respect des mesures, injonctions, ou engagements, il peut prononcer des astreintes (article L. 464-2, II, nouveau du Code de commerce).

    L’article L. 464-2, II du Code de commerce fixe la limite de ces astreintes à 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen de l’entreprise par jour de retard à compter de la date fixée par le Conseil de la concurrence, sur la base des comptes du dernier exercice clos à la date de la décision. Il précise que « l’astreinte est liquidée par le Conseil de la concurrence qui en fixe le montant définitif ».

    L’ordonnance modifie les règles relatives à la protection du secret des affaires devant le Conseil de la concurrence.

    En premier lieu, la rédaction de l’article L. 464-1 du Code de commerce est modifiée, et fait désormais référence à l’exercice de leurs droits par la ou les parties « mises en cause ». Cette nouvelle rédaction semble en réalité entériner la pratique selon laquelle la mise en jeu du secret des affaires est appréciée différemment selon que la demande émane de l’auteur de la saisine ou de l’entreprise mise en cause.

    En second lieu, l’article L. 464-1 nouveau permet la mise en œuvre d’une solution alternative. En effet, le nouvel alinéa 2 de cet article prévoit la création d’une « annexe confidentielle au dossier », pour les pièces qui, « bien que mettant en jeu le secret des affaires, [sont] nécessaire[s] à la procédure ou à l’exercice des droits d’une ou plusieurs des parties ».

    Ces pièces ne seront communiquées qu’au « Commissaire du gouvernement et à la ou aux parties mises en cause pour lesquelles ces pièces ou éléments sont nécessaires à l’exercice de leurs droits ».

    Bien que constituant une avancée significative dans la protection du secret des affaires, cette solution ne règle pas toutes les questions. En effet, si la communication des pièces en cause est effectivement limitée, il n’en demeure pas moins que ces dernières pourront, selon les cas, être portées à la connaissance de l’adversaire, qui sera bien souvent un concurrent.

    Le décret en Conseil d’Etat annoncé par le dernier alinéa du nouvel article L. 464-1, pour préciser « en tant que de besoin » les conditions d’application de cet article, pourrait lever un certain nombre d’incertitudes.

    La coopération au sein du réseau Européen de la concurrence

    L’ordonnance adapte par ailleurs le Code de commerce aux nombreuses dispositions du règlement n° 1/2003 relatives à la coopération au sein du Réseau Européen de la Concurrence (REC), entre les autorités nationales de concurrence et la Commission européenne.

    Ainsi, l’article L. 462-8 du Code de commerce est modifié pour tenir compte de situations de « litispendance » au sein de l’Union européenne, et éviter toute contradiction entre les décisions. Conformément aux objectifs du règlement n° 1/2003, les textes permettent au Conseil de la concurrence de faire preuve d’une certaine souplesse. Ce dernier pourra en conséquence, selon les cas, rejeter la saisine ou suspendre la procédure, lorsque la Commission européenne ou une autorité nationale de concurrence d’un autre Etat membre sont saisis des mêmes faits.

    La spécialisation des tribunaux de commerce et tribunaux de grande instance

    Dernière innovation, l’article 1er de l’ordonnance du 4 novembre 2004, modifiant l’article L. 420-7 du Code de commerce, prévoit que le contentieux français et communautaire de la concurrence sera réservé à certaines juridictions spécialisées, dont le siège et le ressort seront fixés par décret en Conseil d’Etat.

    La spécialisation des juridictions françaises présente ainsi un double intérêt :

    • d’une part, la spécialisation des juridictions sur une matière complexe ;
    • d’autre part, le respect de l’objectif de primauté de droit communautaire ; à cet égard, l’article 16 § 1 du règlement n° 1/2003 rappelle expressément que les juridictions ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre d’une décision adoptée ou envisagée par la Commission européenne, et le paragraphe 8 de la Communication précitée va même jusqu’à énoncer que « les juridictions nationales sont liées par la jurisprudence des juridictions communautaires ».

    Les changements intervenus en 2004 devraient conduire le Conseil de la concurrence, ainsi que les praticiens de la concurrence, à une plus large prise en compte du droit communautaire. Les mois à venir montreront ainsi comment les instances nationales appliquent l’ensemble des ces nouvelles règles.

    « Doris Marcellesi »

    Avocate – Directrice du Département Concurrence

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