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L’opérateur historique condamné pour concurrence déloyale

Concurrence déloyale sur la présélection de l’opérateur, suite…

Dans une affaire récente (1) opposant l’opérateur de téléphonie fixe Télé2 à France Télécom, le Tribunal de commerce de Paris s’est prononcé une seconde fois (2) sur l’utilisation commerciale des données d’interconnexion obtenues par l’opérateur historique à l’occasion des demandes de présélection effectuées par des clients en faveur d’un concurrent. Moins de deux mois après la décision rendue en faveur de 9 Télécom, qui lui accordait une indemnisation de 7 millions d’euros, Télé2 demande au Tribunal de constater le caractère déloyal des mêmes pratiques de France Télécom à son encontre : démarchage de ses clients pour les inciter à résilier la présélection souscrite en sa faveur.

L’enjeu

    L’étendue d’un même dommage peut être appréciée de manière très différente selon la juridiction saisie, et la Cour de cassation exerce son contrôle sur l’application des principes d’évaluation et non sur les montants retenus par les Tribunaux.


L’opérateur historique condamné une nouvelle fois

Le tribunal considère que l’utilisation des informations de présélection par le personnel commercial de France Télécom pour des campagnes de prospection constitue un acte de concurrence déloyale dont le caractère fautif est renforcé par la position dominante de l’opérateur. Télé 2, assisté du même cabinet de conseil que 9 Télécom, formule une demande de réparation dont le montant total s’élève à plus de 75,5 millions d’euros, qui comprend les coûts d’acquisition de la clientèle perdue (12,1 M€), les coûts des actions menées auprès de ses clients pour les reconquérir (10,7 M€) et les diverses pertes de marge sur le chiffre d’affaires qui aurait dû être réalisé grâce à ces clients (téléphonie fixe, ADSL, parrainage d’autres clients : 52,7 M€). Selon l’opérateur 114 899 clients ont annulé leur présélection en raison des pratiques de France Télécom.

Les conseils

  • Exploiter les précédents judiciaires pour bâtir son dossier d’indemnisation afin de permettre au Tribunal de s’appuyer sur ceux-ci pour prononcer sa condamnation
  • A défaut de preuve indiscutable des dommages, élaborer le dossier le plus convaincant possible à l’aide d’un expert.


Nouveau recours au pouvoir souverain d’évaluation

Comme dans l’affaire 9 Télécom, le tribunal constate la difficulté d’évaluation des dommages. Il souligne même le manque de preuves et son incapacité à vérifier les calculs présentés, mais décide néanmoins d’user de son pouvoir d’appréciation pour évaluer les dommages. Il retient « à titre de référence sans valeur probante » les 114 899 clients dont Télé 2 invoque la perte. Seuls les préjudices estimés directs et certains sont retenus : coûts des actions menées envers les clients perdus, et une partie des pertes de marge. Leur étendue est fixée à un montant global de 15 millions d’euros.4Pour des faits très semblables, le préjudice de 9 Télécom avait été évalué à 7 millions d’euros, pour une perte de 150 000 clients retenue (soit 46,7 € par client). Télé 2 obtient ici une réparation qui s’élève à 130,5 € par client perdu, en considérant les 114 899 clients retenus « à titre de référence » par le tribunal. Selon deux chambres du même tribunal, la rentabilité par client est donc très variable selon l’opérateur considéré.


(1) T. com., Paris, 28 mai 2004 (15e ch.), Télé2 France c. France Télécom
(2) T. com., Paris, 18 juin 2003 (8e ch.), 9 Telecom c. France Télécom. Voir Juristendance n°28, mai 2004, p. 7

Bertrand Thoré

Directeur du Département Economie juridique

bertrand-thore@alain-bensoussan.com

Paru dans la JTIT n°32/2004 p.7

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