Réforme des contrats spéciaux : présentation générale

Réforme des contrats spéciauxAprès le droit commun des contrats et le droit des sûretés, le législateur entend désormais réformer le droit des contrats spéciaux. Un premier projet avait été proposé en 2017 mais n’a pas été mené à bout.

La Chancellerie a initié ce nouveau projet de réforme du droit spécial des contrats. Puis, une Commission composée de plusieurs juristes éminents choisis par la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) a permis de le mettre en œuvre.

Les objectifs de la réforme des contrats spéciaux

Le premier objectif affiché de la Commission consiste à n’opérer des modifications que lorsque « cela semble nécessaire » (1). Portalis rappelait déjà que : « il est utile de conserver tout ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire ». Les membres de la Commission se sont efforcés de maintenir le droit positif en consolidant le droit déjà existant.

Le deuxième objectif affiché par la Commission est d’intégrer au maximum la jurisprudence dans le droit positif. En effet, la jurisprudence encadre de manière importante de nombreux aspects du droit des contrats spéciaux. Les rédacteurs de la réforme ont donc cherché à incorporer les apports jurisprudentiels et à les codifier. Cela permettant d’assurer la cohérence de l’ensemble.

Le troisième objectif visé par la Commission est une « modernisation du droit des contrats spéciaux ». La réforme veut favoriser la liberté (2). Cette vivification de la liberté contractuelle avait été perdue selon ses membres en raison de « l’impératif de protection des contractants » (3).

La réforme ne va pas impacter l’ensemble des contrats. À ce titre, certains auteurs distinguent deux grands types de contrats :

  • les « contrat-alliances » : contrats par lesquels les parties allient leur force en vue d’une création de richesse. Par exemple, le contrat de société.
  • les « contrat-échanges » : ils encadrent une opération d’échange entre les parties. Par exemple, les contrats de vente, de prêt, de dépôt, de séquestre, d’entreprise, de mandat, d’échange ou encore de location.

La réforme des contrats spéciaux ne touche donc que cette seconde catégorie de contrats.

Les modifications formelles apportées par la réforme des contrats spéciaux

Concrètement, la réforme des contrats spéciaux va modifier le droit positif sur de nombreux sujets.

Les changements relatifs à la structure et la numérotation

Sur le plan purement formel, les auteurs de la réforme n’ont pas modifié profondément la structure globale. La Commission a choisi de conserver une typologie fondée sur des opérations économiques précises. Certains regrettent ce choix qui selon eux entraîne des « difficultés d’articulation » (4).

Concernant la numérotation, la Commission a « fait le choix de conserver les numéros » (2) des règles cardinales du droit des contrats spéciaux. Cela permettra de conserver au maximum la continuité en la matière et de faciliter le travail futur des juristes (1).

Par exemple, l’article 1641 du projet de réforme contient toujours la garantie des vices cachés. Cependant, certains critiquent ce choix. En effet, si l’on retrouve bien cette garantie à l’article 1641 du Code civil, ce n’est pas le cas de toutes les règles concernant ce sujet (2). Par exemple, la règle de l’article 1643 du Code civil en vertu de laquelle le vendeur « est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’est stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie ». L’article 1642 de l’avant-projet encadre désormais celle-ci.

Les changements relatifs aux définitions

En outre, les auteurs de la réforme souhaitent opérer des changements relatifs aux définitions. La Commission a fait le choix délibéré d’utiliser des définitions afin de figer les catégories contractuelles. Ainsi, ces définitions figurent en tête de titre afin de poser le nouveau cadre des catégories contractuelles. La réforme consacre ainsi des catégories contractuelles « à l’image du nouveau droit des obligations » (5). Des auteurs soulignent que la Commission a « fait preuve d’une grande fidélité à la langue du code » (2).

En effet, la question du maintien de la catégorie de « prêt de consommation » peut susciter la confusion. Plus précisément, la réforme organise deux catégories, le « prêt de consommation » et le « prêt à la consommation ».

La notion de lésion interroge elle aussi quant à l’absence d’harmonisation entre le vocabulaire du droit de la vente et du droit des obligations, qui permettrait de simplifier les notions (6).

Le projet de réforme du droit des contrats spéciaux contient aussi des termes nouveaux inspirés directement de la pratique notariale. Ainsi, on retrouve des termes comme « réitération » ou « faculté de substitution ».

Les modifications de fond apportées par la réforme des contrats spéciaux

Les modifications relatives à certains contrats spéciaux

Sur le plan du fond, la réforme opère plusieurs changements.

Ainsi, le régime de garantie des vices cachés de la chose vendue évolue. En effet, la réforme unifie la garantie des vices cachés avec la responsabilité pour défaut de conformité de la chose. Désormais, le régime du vice caché s’applique dès lors qu’il y a remise en cause de la qualité ou d’une caractéristique de la chose chose. La Commission vient donc élargir la définition de la garantie contre les vices cachés.

La réforme a également innové en ce qui concerne les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité. Celles-ci sont autorisées à condition que le vendeur n’ait pas eu connaissance des vices affectant la chose.

Le contrat de prêt subit lui aussi des modifications. En effet, la réforme introduit une distinction entre les prêts « intéressés » et les prêts « désintéressés ». La responsabilité du prêteur « intéressé » sera plus forte que celle de prêteur « désintéressé ». En effet, dans le cadre du premier, la promesse de prêt sera suffisante pour engager le professionnel qui la formule.

Les auteurs de la réforme ont également initié des modifications concernant le contrat de prestations de services. L’actuel article 1165 du Code civil permet au créancier, à défaut d’accord préalable des parties, de fixer unilatéralement le prix. La réforme précise que cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer au contrat d’entreprise.

Dans l’état d’esprit de la Commission, le droit commun réformé protège suffisamment les contractants. Le droit spécial des contrats réformé permettra donc laisser plus de place à la liberté.

Le renforcement de la liberté contractuelle

Les auteurs de la réforme ont voulu renforcer le principe de liberté contractuelle. En effet, la réforme précise que « de nombreux textes sont supplétifs de volonté » (7).

Concrètement, la mention « sauf clause contraire » figurant dans les textes priverait le juge de sa capacité à juger du caractère abusif de la clause.

Pour certains, cette césure entre « droit commun protecteur et droit spécial libéral » risque de créer des signaux contradictoires et non complémentaires (7).

En conclusion, cette réforme, nécessaire (2) pour certains, va permettre de clarifier les incertitudes autour des contrats spéciaux. Par exemple, le contrat de location ou le contrat de vente. Cette clarification est portée par la codification de la pratique jurisprudentielle bien établie (8). Selon la Direction des affaires civiles et du Sceau, ces dispositions modernisées permettront la « mise en conformité des évolutions jurisprudentielles ». Mais, refléteront également « davantage l’importance acquise par certains contrats » (9).

Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot,
Jessica Pereira Quaresma
Laure Siciliano
Lexing Contentieux et expertise informatique

Notes

(1) Leslie Brassac, « Réforme du droit des contrats spéciaux : Nous avons conservé certains numéros emblématiques », Dalloz actualité, 30-09-2022.
(2) Gaël Chantepie et Mathias Latina, « Observations générales sur l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », Recueil Dalloz 2022 p. 1716.
(3) Cécile Granier, « Publication des avant-projets de réforme du droit des contrats spéciaux », altajuris.com, 31-05-2022.
(4) Carole Aubert de Vincelles, « Éclairage européen sur la banalisation de la notion de service en droit de la consommation », Recueil Dalloz 2019 p. 548.
(5) Sandrine Chassagnard-Pinet, « Le vocabulaire », RDC 2016.581.
(6) Gaël Chantepie, « Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : le style », Dalloz actualité, 18-05-2022.
(7) Mathias Latina, « L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », Dalloz actualité étudiant, 12-09-2022.
(8) Philippe Stoffel-Munck, « Présentation de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », texte.justice.gouv.fr, 03-05-2022.
(9) Stéphanie Faber, « Le droit des contrats spéciaux va faire peau neuve – Consultation sur l’avant-projet de réforme », larevue.squirepattonboggs.com, 01-08-2022.

 

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