Cyberharcèlement et communication des données en référé

preuve illicite

Une ordonnance du TJ de Paris (1) illustre le cadre dans lequel un hébergeur peut se voir ordonner la communication des données d’identification.

La requérante demandait la communication de données d’identification de comptes employés pour lui envoyer douze messages malveillants en un an. Elle affirmait être la cible de cyberharcèlement, délit prévu et réprimé par l’article 222-33-2-2 du Code pénal.

Elle précisait que l’envoi répété de ces messages avait généré une grave détérioration de sa santé physique et mentale. Ses affirmations étaient notamment étayées par :

  • un constat des propos, réalisé par un commissaire de justice de Nevers ;
  • un certificat médical, des notes d’honoraires et une attestation d’un psychologue ;
  • des attestations de ses collègues de travail.

Elle assignait l’hébergeur en référé (art. 145 Code de procédure civile) pour obtenir les données d’identification de la personne ou des personnes à l’origine de ces messages.

La compétence du Tribunal judiciaire de Paris

Cyberharcèlement et communication des données en référé

L’hébergeur contestait la compétence territoriale du Tribunal judiciaire de Paris au visa des articles 42 et suivants du Code de procédure civile et de l’article 7 du règlement Bruxelles I bis.

Le constat du commissaire de justice avait été établi à Nevers. L’hébergeur soutenait que la preuve de l’accessibilité des URL constatées à Paris n’était pas rapportée.

Il contestait « le lieu d’exécution de la mesure avancé par la demanderesse, considérant qu’elle devra être exécutée à son siège social en Irlande, comme le fait que les titulaires des profils LinkedIn seraient domiciliés à Paris »

La compétence du Tribunal judiciaire de Paris

Cyberharcèlement et communication des données en référé

Le tribunal rappelle que :

  • au visa de l’article 46 du Code de procédure civile, le demandeur peut saisir, à son choix la juridiction :
  • du lieu où demeure le défendeur ;
  • du lieu du fait dommageable ;
  • dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
  • « en application de l’article 7, 2) du Règlement Bruxelles I bis, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, toute personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

Le tribunal souligne que les éléments du procès-verbal de constat permettent d’établir « que les contenus litigieux ont été publiés sur la version française du site internet www.linkedin.com, destinée au public français et que ce site est accessible depuis l’ensemble du territoire français, le commissaire de justice ayant pu y accéder en s’y connectant depuis son étude située en France, le fait qu’elle soit située à Nevers ne modifiant en rien ce fait qui relève de l’évidence ».

Le tribunal a par conséquent retenu la compétence territoriale du Tribunal judiciaire de Paris.

Le motif légitime justifiant le prononcé d’une mesure d’instruction in futurum

Cyberharcèlement et communication des données en référé PAR LEXING · PUBLIÉ 2024-01-26 · MIS À JOUR 2024-01-26

Selon l’article 145 du code de procédure civile, « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Ces mesures permettent au demandeur d’obtenir le concours du juge pour recueillir des éléments de preuve qui lui font défaut ou qui risquent d’être détruits, et cela avant tout procès.

Ce texte vise « des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Le motif légitime justifiant le prononcé d’une mesure d’instruction in futurum

Cyberharcèlement et communication des données en référé

Conformément aux articles 6 II de la LCENL 34-1 du Code des postes et des communications électroniques et du décret du 20 octobre 2021 le tribunal vérifie si la mesure ordonnée est :

  • nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et 
  • proportionnée aux intérêts en présence.

Sur le motif légitime invoqué par la demanderesse, le tribunal précise qu’« il ne s’agit pas ici de vérifier si le délit invoqué est constitué mais d’apprécier si l’action pénale pour les besoins de laquelle la mesure d’instruction est sollicitée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile est, ou pas, manifestement vouée à l’échec ».

Au regard des éléments communiqués par la requérante, le tribunal a ainsi considéré que le litige potentiel n’était pas manifestement voué à l’échec. Par voie de conséquence, le tribunal a constaté l’existence du motif légitime requis pour le prononcé d’une mesure d’instruction in futurum.

 

La communication des données d’identification

Cyberharcèlement et communication des données en référé

Le tribunal a considéré que la communication de données d’identification des comptes constituait une mesure d’instruction légalement admissible, dès lors qu’elle est :

    • proportionnée aux intérêts en présence, s’agissant d’une infraction punie d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement ;
    • nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la demanderesse « exercé pour la défense d’un droit en justice ne portant pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée de la ou des personnes dont les données d’identification lui seraient communiquées en vue d’un usage procédural licite ».

Nos avocats peuvent vous accompagner, n’hésitez pas à nous contacter : paris@lexing.law

(1) Tribunal judiciaire de Paris, ord. réf. du 11-08-2023.

Virginie Bensoussan-Brulé

Virginie Bensoussan-Brûler

Avocat, Directeur du pôle Contentieux numérique

Raphaël Liotier

Avocat, Directeur d’activité Pénal numérique

Morganne Ammar

Avocat

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