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Concurrence

Infrastructures essentielles

Logiciels : les limites des droits d’auteur

Un arrêt du 12 juillet 2005 rappelle que les circonstances dans lesquelles le droit de la concurrence fait céder le droit d’auteur sont exceptionnelles. L’affaire avait fait grand bruit : le Conseil de la concurrence avait enjoint à titre conservatoire aux Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP), le 22 décembre 2003, d’accorder à leurs concurrents, les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP), un accès à certaines fonctionnalités de leur logiciel Presse 2000. Approuvé en cela par la cour d’appel de Paris, il avait considéré que ce logiciel, qui gère la transmission des informations entre messageries de presse, dépositaires de presse et diffuseurs de presse, était indispensable à l’activité des MLP, notamment en raison de son caractère non reproductible. En conséquence, le refus par les NMPP d’y donner accès était susceptible de constituer un abus de position dominante.

 

La décision du Conseil était fondée sur la théorie dite des « infrastructures essentielles » issue du droit anglo-saxon, qui vise à contraindre une entreprise en position dominante, détentrice d’une ressource rare et non reproductible de façon raisonnable, à en accorder l’accès à ses concurrents si elle est indispensable à leur activité. Avant cette décision, le Conseil de la concurrence tout comme la Commission européenne avait déjà enjoint à des opérateurs en position dominante d’accorder l’accès à des infrastructures physiques indispensables à l’activité de leurs concurrents. S’agissant d’un port, d’un aéroport ou encore des infrastructures de France Télécom (pour permettre l’entrée de nouveaux opérateurs du câble ou de fournisseurs d’accès à Internet), nul ne s’était indigné.

 

Mais pouvait-on forcer un opérateur en position dominante à accorder une licence à ses concurrents sur une marque, un brevet ou des éléments protégés par le droit d’auteur ?

 

Les autorités françaises et communautaires de concurrence n’ont pas hésité à le faire. La Commission européenne n’a ainsi pas hésité à infliger 497 millions d’euros d’amende à Microsoft, notamment pour avoir refusé de fournir à ses concurrents des informations protégées par le droit d’auteur leur permettant d’assurer l’interopérabilité de leurs produits avec Windows. La Cour de justice des Communautés européennes n’a pas davantage hésité à définir les conditions dans lesquelles l’accès à la base de données de la société IMS Health protégée par le droit d’auteur devait être accordé.

 

Enfin, parmi les cas les plus marquants, l’amende de 60 millions d’euros infligée le 15 juin dernier par la Commission à AstraZeneca était fondée bien que les pratiques reprochées soient différentes sur l’exploitation abusive d’un brevet par ce laboratoire. En France, le Conseil de la concurrence n’est pas en reste.

Qu’il s’agisse de la marque Numéro Vert de France Télécom ou du logiciel Presse 2000 des NMPP, il n’a pas hésité à faire application du droit de la concurrence pour limiter les droits du titulaire de la marque ou des droits d’auteur.

 

L’arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2005 vient rappeler que les circonstances dans lesquelles le droit de la concurrence peut faire céder le droit d’auteur doivent rester exceptionnelles, à l’instar de ce que jugent les autorités communautaires de concurrence (notamment dans l’arrêt Oscar Bronner du 26 novembre 1998). En effet, une telle atteinte au droit d’auteur ne peut être justifiée que si les droits en cause sont indispensables à l’activité des concurrents, et s’il n’existe pas de solution alternative économiquement raisonnable. Dans l’affaire des NMPP, le Conseil de la concurrence avait estimé que tel était le cas, compte tenu des particularités du contexte concurrentiel. Notamment, l’implantation d’un logiciel concurrent développé par les MLP lui semblait irréaliste, compte tenu de l’attachement des dépositaires de presse à un système informatique unique. La Cour de cassation vient de rejeter cette approche qui, bien que pragmatique, aurait pu donner lieu à des dérives.

 

Désormais, il conviendra de démontrer l’absence de solutions alternatives économiquement raisonnables, « fussent-elles moins avantageuses ». En d’autres termes, une licence « forcée » ne peut être octroyée que si le refus d’accès au droit de propriété intellectuelle conduit à exclure purement et simplement un concurrent du marché.

(Mise en ligne Juillet 2005)

 

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