Tweeter n’est pas jouer : premier condamné à tweeter

Tweeter n’est pas jouer : premier condamné à tweeterPar une décision originale du 8 septembre 2015, la Cour d’appel régionale de Séville a condamné un diffamateur à twitter.

Cet auteur de propos diffamatoires et injurieux a été condamné à tweeter chaque jour sa condamnation sur son Twitter pendant un mois, durant des plages horaires fixées par le jugement.

En l’espèce, le directeur d’une association d’usagers de services bancaires avait publié près de 60 tweets accusant le porte-parole d’une autre association de consommateurs, notamment de corruption, de fraude fiscale et de liens avec des réseaux pédophiles.

Après un premier jugement du Tribunal de première instance de Séville ayant retenu la diffamation et l’injure, la Cour régionale de Séville confirme ce jugement et ajoute cette condamnation de publication du « dispositif du jugement au travers du compte Twitter du demandeur, par la transcription du dispositif dans un Tweet usant un outil créé à cet effet pour augmenter le numéro de caractères permis, publié durant 30 jours aux horaires de matinée (de 9 à 14 heures) ou du soir (17 à 22 heures) ».

La condamnation comporte également plus classiquement une obligation de suppression des tweets litigieux, ainsi qu’une sanction pécuniaire.

Cette condamnation, inédite à notre connaissance, a été proposée conjointement par le Procureur chargé de l‘affaire et l’avocat du demandeur (1), lesquels avaient fait preuve d’exhaustivité en proposant aux magistrats trois méthodes différentes afin de tweeter :

  • un message contenant un lien vers la page où la publication entière serait disponible ;
  • un message spécialement créé pour dépasser la limite des fameux 140 caractères : en l’occurrence, est cité le site Twitlonger ;
  • des messages successifs jusqu’à publication complète du texte du jugement.

Cette dernière solution aurait manifestement imposé une charge trop importante sur la partie, tandis que la première n’aurait finalement pas rempli son but de réparer le dommage résultant des publications antérieures, étant trop neutre et les visiteurs du compte n’allant pas nécessairement cliquer vers le lien proposé.

La Cour s’est donc en toute logique tournée vers la seconde solution, et a accepté les plages horaires proposées, qui correspondent manifestement aux pics d’audience de Twitter. En revanche, la Cour n’a pas choisi de retenir la durée de six semaines proposées, correspondant au temps écoulé entre le premier et le dernier des tweets objets du jugement.

Pour le moment, l’auteur des propos ne semble pas avoir exécuté cette décision.

Reste désormais à savoir si ce jugement fera jurisprudence, et surtout si des tribunaux français pourraient suivre son exemple.

La loi espagnole (2) prévoit explicitement « la publication totale ou partielle de la condamnation aux frais du condamné avec au moins une diffusion identique à celle ayant permis l’atteinte subie ».

Aussi, si la décision de Séville constitue un exemple inédit d’application au réseau social Twitter, la solution n’est finalement pas si étonnante, la Cour ne faisant que respecter la lettre de la loi.

En droit pénal français, l’article 131-35 du Code pénal (3) prévoit bien une peine complémentaire d’affichage, fixée « dans les lieux et pour la durée indiqués par la juridiction ».

Néanmoins, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, laquelle définit les délits de diffamation et d’injure, ne prévoit cette peine que pour les cas les plus graves (diffamation ou injure à caractère raciste, discriminatoire ou religieuse) (4).

Pour solliciter une mesure de publication, il faut alors se tourner vers le principe non plus pénal, mais civil, de la réparation intégrale du dommage : rien que le dommage, mais tout le dommage, pour suivre l’adage détourné.

Sans autre appui dans la loi, tout l’enjeu est alors démontrer au juge que, outre la sanction pécuniaire et la suppression des propos, la publication du jugement sur le réseau social constitue un outil nécessaire pour effacer l’atteinte morale subie en raison des propos publiés.

Les magistrats français acceptent fréquemment d’accorder des mesures de publication, notamment en matière de presse à scandale. La prochaine étape est alors l’application de telles demandes au numérique et aux réseaux sociaux, les écueils étant nombreux.

Il revient en effet à la partie demandant la publication de préciser toutes les modalités de cet affichage : taille du texte, localisation du texte sur la page internet, format de fichier, insertion en page d’accueil, éventuel mécanisme par renvoi de lien hypertexte, durée de l’affichage, etc.

Dans ces circonstances, une mesure de publication efficace est une mesure précise : sans indication de la taille du texte, le condamné serait parfaitement libre, bien qu’agissant de mauvaise foi, de publier sur son site un texte en Arial Narrow 6, le rendant quasiment invisible.

C’est cet effort de précision qu’avaient fait le procureur, l’avocat puis les juges espagnols en proposant différentes méthodes de publication, avec une heure et un message précis. Avec un oubli toutefois notable : que faire en cas d’ « enfouissement » volontaire du tweet de publication sous de multiples autres tweets ou retweets postés à quelques secondes d’intervalle ? Le tweet censé réparer le préjudice subi disparaîtrait des actualités récentes du compte, et à l’heure de l’information instantanée, il est certain que le visiteur lambda n’ira pas chercher plus avant pour s’informer de la condamnation.

Virginie Bensoussan-Brulé
Pierre Chaffenet
Lexing Droit pénal numérique

(1) Disponible à cette adresse.
(2) Loi organique 1/1982 sur la protection civile du droit à l’honneur, art. 9.2 a).
(3) C. pén., art. 131-35.
(4) Loi du 29 juillet 1881, art. 32 et 33.

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