Réseaux mobiles : concurrence et mutualisation

Réseaux mobiles : concurrence et mutualisationRéseaux mobiles. Saisie d’un recours d’Orange France, qui en demandait la suspension immédiate en raison de l’atteinte grave et immédiate qu’il était censé produire sur le marché, l’Autorité de la concurrence a pourtant accueilli favorablement l’accord SFR – Bouygues Telecom.

L’Arcep a validé l’accord signé entre les sociétés SFR et Bouygues Telecom en matière de mutualisation des réseaux télécom mobiles, aux termes d’une décision du 25 septembre 2014.

Mutualisation active. L’objet d’un tel accord est la mutualisation des réseaux des opérateurs télécom mobiles sur une partie du territoire métropolitain via notamment :

  • la création dans ce cadre d’une société ad hoc commune en charge de la gestion du patrimoine constitué des sites radios mutualisés ;
  • un accord de prestation de « Ran sharing » (partage d’accès radio ou « radio access network sharing ») que se rendront mutuellement les opérateurs en 2G, 3G et 4G sur le territoire partagé.

Le Ran sharing consiste en l’utilisation commune par les opérateurs d’équipements actifs et de leurs fréquences assignées, par opposition aux partages d’infrastructures passives, plus classiques, et qui consistent pour un opérateur à louer à un autre opérateur un emplacement sur un pylône ou une surface d’un bâtiment technique, par exemple. Quelques exemples de mise en œuvre du Ran sharing sont apparus très récemment dans le monde, notamment en Suède où de tels accords sont largement employés.

Ainsi, les opérateurs peuvent utiliser en commun un seul réseau d’accès radioélectrique, à savoir non seulement les sites et les antennes, mais également les équipements actifs correspondant aux stations de base (BTS ou node-B), aux contrôleurs de stations de base (RNC) et aux liens de transmission associés, reliant les stations de bases à leur contrôleur. Les opérateurs raccordent ensuite leur cœur de réseau à chacun des RNC concernés par l’accord de Ran sharing.

Coopération horizontale. Une telle mutualisation dite « active » permet des économies plus importantes que la mutualisation passive d’infrastructures (pylônes, toits-terrasses, locaux, électricité, climatisation, génie civil, servitudes, etc.).

Dans certains cas, une mutualisation active, notamment sous forme de Ran sharing, peut s’avérer pro-concurrentielle, soit dans les zones semi-denses, soit pour compenser les difficultés de déploiement de sites rencontrées par un nouvel entrant.

Mais la mutualisation active limite la capacité de différenciation technologiques et commerciales des opérateurs et, lorsqu’elle est appliquée sur une large part du réseau, induit en pratique un plus grand risque de restriction de la concurrence en produisant des effets comparables à ceux d’une véritable reconsolidation, par rachat ou fusion d’opérateurs (« concentration » en droit de la concurrence (1)).

Entente. L’appréciation des effets éventuellement anticoncurrentiels d’un accord horizontal s’effectue au regard des dispositions des articles L 420-1 du code de commerce et 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Plus précisément, un accord peut atténuer la concurrence de deux manières :

  • en limitant la concurrence entre les parties à l’accord ;
  • en conduisant à marginaliser, voire à évincer, les opérateurs tiers.

Or, en l’espèce, la société Orange n’a fourni aucun élément concret (à l’exception d’un communiqué de presse de l’Arcep en date du 31 janvier 2014) permettant de démontrer que la présente mise en commun d’infrastructures se traduit par :

  • un affaiblissement de la concurrence entre les sociétés SFR et Bouygues Telecom parties à l’accord, qui doivent conserver une incitation et une capacité à se différencier ;
  • un risque de marginalisation ou d’éviction de la société Orange en tant qu’opérateur tiers à l’accord, au point que le marché s’en trouverait déstabilisé dans sa structure.

La société Orange ne fournit non plus aucun élément concret permettant de quantifier les conséquences dommageables de la prestation temporaire d’itinérance 4G sur son activité.

« Aucune atteinte grave et immédiate à l’économie générale, au secteur, aux consommateurs ou à la saisissante ne peut être caractérisée, ni en ce qui concerne la partie de l’accord relative à la mutualisation des réseaux mobiles, ni en ce qui concerne celle portant sur la prestation transitoire d’itinérance 4G qui lui est associée », a donc jugé l’Autorité de la concurrence le 25 septembre 2014 en réponse à la saisine de la société Orange dénonçant une entente horizontale.

Conclusion. La capacité des partenariats ainsi formés à marginaliser les concurrents ou à faire peser des risques sur la structure du marché est donc l’élément essentiel d’appréciation des accords de coopération horizontale entre entreprises au regard du droit de la concurrence. La grille de lecture et d’analyse concurrentielle ainsi donnée par l’Autorité de la concurrence est donc, pour cette raison, assez générale.

Frédéric Forster
Edouard Lemoalle
Lexing Droit Télécoms

(1) Lignes directrices de la Commission européenne du 14-1-2011 sur l’applicabilité de l’art. 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux accords de coopération horizontale

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