Contrefaçon de marque dans une URL : atteinte à la fonction

Contrefaçon de marque dans une URL : atteinte à la fonctionLa jurisprudence a apporté de nouvelles précisions à propos de la contrefaçon de marque dans une URL (1).

La société Un Amour de Tapis-Tapis Pas Cher ayant pour activité le commerce de meubles, de tapis et d’appareils d’éclairage, exploite les marques déposées par son gérant, Monsieur S., à savoir :

  • la marque verbale française UN AMOUR DE TAPIS, déposée pour des produits en classe 27 ;
  • deux marques semi-figuratives « un amour de tapis.com à chaque service son tapis » déposées, l’une en noir et blanc, l’autre en couleur, toutes deux protégées pour des produits et services en classes 27, 39 et 42.

Au mois de mai 2013, la société Un Amour de Tapis-Tapis Pas Cher a, en concertation avec la société WW Euros-Services France, éditrice du site de ventes privées en ligne www.westwing.fr (2), organisé une vente privée de tapis correspondant à ces marques.

Ayant relevé que la société de ventes privées en ligne avait, sans autorisation, organisé une nouvelle vente quelques mois plus tard, la société Un Amour de Tapis-Tapis Pas Cher et Monsieur S. ont assigné la société WW Euros-Services France sur le fondement de la contrefaçon de marque, de la concurrence déloyale et du parasitisme reprochant la reproduction du signe « un amour de tapis » pour désigner des tapis, au sein de l’URL et dans les balises meta du site de la société WW Euros-Services France, ainsi qu’au sein de l’annonce commerciale affichée par le moteur de recherche Bing.

La société WW Euros-Services France invoquait reconventionnellement la nullité des marques opposées, faisant valoir que celles-ci étaient descriptives de la qualité ou de la valeur des produits visés.

Le Tribunal de grande instance de Paris rejetta la demande de nullité des marques semi-figuratives retenant que la distinctivité d’une marque complexe s’apprécie globalement au regard de la combinaison des éléments figuratifs, graphiques et verbaux composant le signe déposé et, qu’au cas d’espèce, la combinaison déposée prise dans son ensemble présente un caractère distinctif au regard des produits et services visés.

S’agissant de la validité de la marque verbale, et après avoir rappelé que la validité d’un signe composé de plusieurs éléments verbaux doit être appréciée au vu de l’ensemble des éléments la composant, et non pas uniquement en considération de l’un de ces éléments serait-il descriptif, le tribunal a retenu que l’expression « un amour de » au terme « tapis » n’est ni habituelle, ni courante, ni nécessaire pour désigner des produits, tels que les tapis, de sorte que l’expression « un amour de tapis » est distinctive.

Après avoir rejeté les moyens de défense soulevé, le tribunal a procédé à l’analyse de l’existence de la contrefaçon de marque au regard des divers agissements reprochés, à savoir la reproduction des signes protégés à titre de marque au sein de l’URL, dans les balises méta du site, ainsi que dans l’annonce commerciale.

Cette analyse, agissement par agissement, permet d’éclairer la position du tribunal quant à l’appréciation de l’atteinte à la marque sur internet, et notamment la caractérisation d’actes de contrefaçon de marque dans une URL.

Ainsi, concernant la reproduction du signe « un-amour-de-tapis » au sein de l’URL permettant d’accéder à la vente de tapis, le tribunal a estimé qu’il s’agit d’une reproduction à l’identique de la marque verbale, les tirets entre chaque mot constituant « des différences insignifiantes ».

Estimant que la société WW Euros-Services France a choisi de reproduire au sein de l’URL un signe identique à la marque déposée plutôt que des termes génériques tels « vente de tapis », le tribunal en conclut que le signe a été utilisé « à titre de marque pour signaler à l’internaute, d’une part la nature et l’objet de la vente » et « d’autre part, l’origine des tapis qu’elle propose à la vente ».

Il est vrai que la simple adjonction de tirets entre les termes composant la marque est insignifiante et, au demeurant, justifiée par les contraintes techniques inhérentes à la construction d’une URL.

On peut sans doute regretter que le débat n’ait pas davantage porté sur les termes à prendre en considération au titre de la comparaison dans la mesure où l’URL n’était pas constituée des seuls termes « un-amour-de-tapis » mais de la formule plus complexe https://www.westing.fr/un-amour-de-tapis-choisissez-votreclassique.

De même, le tribunal ne se prononce pas sur la fonction technique de l’URL qui, si elle est visible de l’internaute, n’a pas, en principe, vocation à être lue par ce dernier, contrairement au nom de domaine pris en tant que tel.

Néanmoins, il est vrai qu’au cas d’espèce, l’URL était constituée non pas d’une suite décousue de termes techniques, mais de la phrase « un-amour-de-tapis-choisissez-votreclassique » parfaitement compréhensible de l’internaute donnant ainsi à l’URL, outre sa fonction technique, une fonction « marketing » et pouvant conduire les juges à caractériser des actes de contrefaçon de marque dans une URL.

On peut donc se demander si la contrefaçon aurait été retenue si l’expression « un-amour-de-tapis » avait été « noyée » dans une suite de mots-clés inintelligible, ayant pour seul but d’indexer la page du site.

S’agissant de la reprise du signe au sein des codes source, le tribunal a rejetté la contrefaçon retenant que la reproduction dans des codes source ne constitue pas un usage « pour désigner des produits et services » et n’est « pas accessible à l’internaute ayant saisi la marque sur le moteur de recherche ».

La jurisprudence a en effet tendance à considérer que l’usage d’une marque au sein d’un code source ne peut constituer un acte de contrefaçon dès lors qu’il demeure invisible pour les internautes, donc inapte à générer une confusion dans leur esprit (3).

En revanche, constitue un acte de contrefaçon la reprise de la marque dans le résumé de la page internet (ou « snippet ») apparaissant dans les résultats du moteur de recherche et dans le lien permettant de rediriger les internautes vers la page de présentation des produits.

Si la solution est logique, elle peut sembler sévère. En effet, si la seconde vente a été organisée sans le consentement du propriétaire de la marque, il semble néanmoins que celle-ci portait sur des produits authentiques ayant vraisemblablement fait l’objet d’une mise sur le marché avec l’accord du propriétaire des marques.

Se pose donc la question de l’atteinte effective à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir l’origine des produits ou services du titulaire de la marque et d’éviter tout risque de confusion avec ceux des tiers.

De même, le litige n’aborde pas la question de l’épuisement des droits attaché à la mise sur le marché des produits marqués par le propriétaire de la marque ou avec son consentement (4).

Il aurait donc été intéressant de connaitre le contenu du contrat conclu lors de la première vente, l’étendue des droits accordés dans ce cadre et le sort réservé aux éventuels invendus.

En l’absence d’une telle pièce, il apparaît délicat de tirer des solutions définitives de ce jugement, lequel montre, une fois de plus que l’appréciation de la contrefaçon de marque dans une URL sur Internet demeure chose délicate, tant en raison du particularisme de chaque affaire que de l’évolution des usages et du comportement de l’internaute.

Virginie Brunot
Justine Ribaucourt
Lexing Droit Propriété industrielle

(1) TGI Paris, 3e ch 3e sec, 29-1-2016, M. S. et Sté Un amour de tapis c/ Sté E-Services France.
(2) www.westwing.fr.
(3) CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 28-3-2014, n°13/07517, inpi.fr.
(4) CJUE, 4-11-1997, Parfums Christian Dior SA et Parfums Christian Dior BV c/ Evora BV, aff. C-337/95, curia.europa.eu.

 

 

Retour en haut