Le bitcoin, retour sur 15 ans d’histoire sulfureuse

Le bitcoin, retour sur 15 ans d’histoire sulfureuseLe bitcoin est la cryptomonnaie la plus connue actuellement. Cette monnaie virtuelle a été lancée en 2009 par un certain Satoshi Nakamoto.

L’identité de cette personne, ou de ce groupe de personnes, continue à alimenter des rumeurs plus ou moins avérées. Certains croient que derrière ce pseudonyme se cache en réalité, le programmeur Nick Szabo, spécialiste de la blockchain Ethereum. D’autres, en revanche, à l’occasion d’un procès américain de décembre 2021 portant sur la revendication de la propriété d’un énorme portefeuille de Bitcoins estimé à 47 milliards de dollars, pensent avoir découvert qu’il s’agirait d’un certain Craig Wright, informaticien australien, propriétaire d’un portefeuille (Wallet) constitués des tout premiers Bitcoins créés sur la blockchain. Affaire à suivre…

Les Bitcoins ont connu un succès retentissant, suscitant même l’intérêt du grand public, souvent parsemé de scandales et d’escroqueries en tous genres. Retour sur la technologie blockchain et son appréhension dans les domaines juridiques, fiscaux, voire criminels.

Qu’est-ce qu’un Bitcoin ?

Techniquement, un Bitcoin est une monnaie virtuelle non régulée par un organisme central dont l’ensemble des transactions sont inscrites dans un registre public appelé blockchain.

Chaque transaction inscrite dans ce registre est validée par des « mineurs » ; c’est-à-dire des puissances de calculs capables de résoudre des opérations mathématiques complexes. Ces dernière permettent de vérifier, sécuriser puis finalement d’inscrire la transaction dans le registre. Plusieurs puissances de calcul sont en compétition pour être la première à valider l’opération car les mineurs sont rémunérés en bitcoin pour chaque transaction validée.

C’est la plus grosse puissance de calcul qui l’emporte le plus souvent et c’est la raison pour laquelle des fermes de bitcoins ont vu le jour depuis quelques années à travers le globe.

Les caractéristiques de ce registre décentralisé permettent de s’affranchir de toute autorité de contrôle et c’est la raison pour laquelle la valeur du bitcoin est si volatile. Elle ne dépend d’aucune autorité notamment bancaire ou étatique mais uniquement de l’offre et de la demande.

Les caractéristiques de la blockchain concernant la sécurité, la traçabilité et l’inviolabilité sont aujourd’hui utilisées dans d’autre domaines que le domaine financier. On peut citer par exemple la filière agroalimentaire qui souhaite permettre aux consommateurs de suivre le parcours alimentaire de leur produit depuis leur site de production : filière du lait, de la viande, des bananes, etc.

La réaction des états face à l’émergence de cette nouvelle monnaie

Le succès du Bitcoin a été tel qu’il a obligé les États à réagir pour ne pas voir leur monopole de créateur de monnaie remis en question. Ainsi,

Qu’en est-il de la France et de l’Europe ?

Juridiquement en France, le Bitcoin ne peut être ni qualifié de « monnaie officielle » de la France, car selon l’article L.111-1 du Code monétaire et financier (CMF), « la monnaie de la France est l’Euro », ni de monnaie électronique car l’article L.315-1 du même code dispose « qu’une monnaie électronique est une valeur monétaire stockée sous format électronique émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement (…) »

Les cryptomonnaies pouvant être générées en dehors de toute remise de fonds initiale, elles ne peuvent être qualifiées de monnaies électroniques. Les législateurs français et européens ont donc dû commencer aux détours de différents textes à appréhender expressément les cryptomonnaies et la blockchain.

La première référence légale aux Bitcoins apparaît de manière indirecte dans le règlement européen « Eidas » du 23 juillet 2014 (1) relatif à l’identification électronique, aux services de confiance et aux documents électroniques. Ce texte dispose que les enregistrements effectués de manière électronique (blockchain par exemple) constituent des « contenus conservés sous forme électronique ». Par conséquent, leur recevabilité et leurs éventuels effets juridiques ne peuvent être remis en cause.

Deux ans plus tard, en droit français cette fois, l’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse et concernant les articles L.223-6 à L.223-13 du CMF a introduit une section relative à l’émission et à la cession de « minibons » (reconnaissance de dette numérique) dans la blockchain (abrogés depuis par l’article 3 de l’Ordonnance n°2021-1735 du 22 décembre 2021). Cette ordonnance avait été complétée par un décret du 24 décembre 2018 qui en précise les conditions d’application.

Toujours en 2016, l’article 120 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dit Loi « Sapin 2 » habilite le gouvernement à prendre des mesures concernant le droit applicable aux titres financiers et aux valeurs mobilières afin de permettre la représentation et la transmission, au moyen d’une blockchain.

Les modalités d’émission de jetons numériques en France

Concernant les modalités d’émission de jetons numériques en France, la loi PACTE de 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises du 11 avril 2019 a mis en place un cadre juridique pour les émissions de jetons numériques (articles 75, 82, 85 et suivants qui modifient le CMF concernant les émetteurs de jetons) permettant à l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) de consacrer un nouveau régime pour les cryptoactifs (articles L.621-13, L.621-13-5 et L.621-14 du CMF) : encadrement des offres au public de jetons (ICO), encadrement des actifs numériques (jetons et cryptomonnaies), détermination du statut juridique des jetons transférés par blockchain, reconnaissance de l’inscription de la propriété d’un actif dans une blockchain, etc.

Le bitcoin et la fiscalité : les modalités d’imposition des gains

Fiscalement pour les personnes ayant réalisé des plus-values, c’est le Conseil d’État lui-même qui est venu préciser les modalités d’imposition des gains résultant des cessions de « bitcoins » par des particuliers.

Le Conseil d’État juge ainsi que, lorsque les gains ne sont pas le fait d’une activité habituelle, l’imposition relève en principe du régime des plus-values sur biens meubles prévu à l’article 150 UA du Code général des impôts (CGI) et confirme par ailleurs l’application du régime des bénéfices non commerciaux (BNC) à l’activité de « minage » et celle du régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) lorsque les plus-values de cessions d’actifs numériques s’effectuent à titre habituel (2).

Ainsi, les gains tirés de la vente d’actifs numériques (notamment les « bitcoins »), lorsqu’ils sont occasionnels, sont soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des BNC.

Une activité exercée à titre habituel relève du régime d’imposition des BIC.

Toutefois, le régime des plus-values sur biens meubles prévu à l’article 150 UA du CGI apparaît inadapté en pratique aux cessions d’actifs numériques en raison notamment du caractère particulièrement liquide et fongible de ces biens ainsi que de l’importance du nombre et de la complexité des opérations susceptibles d’intervenir dans un court laps de temps.

Tenant compte de la fréquence des échanges susceptibles d’intervenir entre actifs numériques, ces derniers ne constituent pas un fait générateur d’imposition ; seule étant imposée l’éventuelle plus-value globale réalisée, au cours d’une année d’imposition, au titre des cessions d’actifs numériques contre de la monnaie ayant cours légal ou contre l’obtention de tout service, bien ou avantage.

Lors de la cession d’actifs numériques tels que des cryptomonnaies, les gains réalisés à titre occasionnel par les particuliers bénéficient d’une fiscalité adaptée (Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances 2019, article 41) (3).

Ainsi, conformément à l’article 150 VH bis du CGI, la plus-value globale réalisée dans l’année par un particulier à titre occasionnel est imposable si le total des cessions est supérieur à 305 euros au cours d’une année d’imposition. Les gains sont soumis au prélèvement forfaitaire unique : ils sont imposés à un taux global de 30 %, soit 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux.

Le bitcoin et la fiscalité : les modalités déclaratives

Les modalités déclaratives sont également simplifiées, les redevables portant sur la déclaration annuelle prévue à l’article 170 du CGI le montant global de la plus ou moins-value réalisée au titre des cessions imposables de l’année. Ils joignent à cette déclaration une annexe sur laquelle ils mentionnent et évaluent l’ensemble des plus ou moins-values réalisées à l’occasion de chacune des cessions imposables effectuées au cours de l’année ou les prix de chacune des cessions exonérées en application du B du II de l’article 150 VH bis du CGI (seuil de 305 euros).

Les transmissions à titre gratuit d’actifs numériques sont, en vertu des dispositions de l’article 750 ter du CGI, soumises aux droits de mutation à titre gratuit, sous réserve de l’application de conventions internationales.

La loi de finances pour 2022 prévoit également des mesures concernant l’imposition des actifs numériques et notamment des cryptomonnaies. Trois amendements adoptés permettent aux contribuables déclarant une plus-value en cryptomonnaies d’opter pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu (qui peut être plus intéressant en fonction de situations des contribuables), au lieu du prélèvement forfaitaire unique de 30% évoqué ci-dessus.

Un anonymat recherché par les cybercriminels

La blockchain offre aux titulaires de cryptomonnaies des possibilités d’anonymat très importantes suscitant ainsi l’intérêt des cybercriminels en tout genre. Ces derniers profitent du fait qu’il est en outre très facile d’envoyer et de recevoir instantanément des fonds à travers le monde.

En effet, si les transactions inscrites dans la blockchain sont publiques : on peut ainsi facilement savoir quel bloc a transmis telle quantité de bitcoin à tel autre bloc, les titulaires des wallets sont en revanche anonymes, aucune information n’étant stockée dans la blockchain sur l’identité des titulaires des wallets.

La société américaine Chainalysis, spécialiste des investigations sur les chaînes de bitcoin a rendu son rapport sur l’utilisation des Bitcoin en 2021. Cette société considère qu’en 2020, 10 milliards de dollars étaient issus d’activités criminelles telles que le blanchiment d’argent, les rançons payées par les victimes de ransomware, la vente de produits sur les markets illicites  hébergés sur le darknet, les escroqueries en tout genre (type pyramide de Ponzi), le vol de cryptomonnaies légitimes et le financement du terrorisme. Chainalysis précise cependant que ces 10 milliards de dollars ne représentent que 0,34 % de l’ensemble des transactions Bitcoin.

Chainalysis constate également que les cybercriminels utilisent des outils informatiques tels que des brouilleurs ou des mixeurs en tout genre pour rendre plus compliqué le suivi des blockchains. Un mixeur permet par exemple de mélanger diverses chaînes de cryptomonnaie entre elles, afin de brouiller l’enchaînement des différents blocs depuis la source d’origine du fonds ou jusqu’à une plateforme d’échanges en monnaie réelle.

Les services d’investigations judiciaires français

Cependant, les services d’investigations judiciaires français ont des moyens d’enquête. On notera ainsi la récente condamnation par la Cour d’appel de Paris le 24 juin 2021 pour blanchiment en bande organisée liée à l’activité du Ransomware « Locky ». L’analyse de cette décision montre que les enquêteurs français ont procédé à l’analyse approfondie des différentes blockchains ayant servi aux paiements des rançons effectuées par les victimes de Locky.

Les enquêteurs ont ainsi pu identifier 5700 victimes ainsi qu’une plateforme d’échange de cryptomonnaie en monnaie réelle appelée « BTC-E.Com », elle-même condamnée aux USA en 2019 pour blanchiment d’argent et conspiration. L’enquête menée à travers le monde a ensuite permis d’identifier l’un des administrateurs de la plateforme BTC-E.com et bénéficiaires des fonds issus du paiement des rançons. Celui-ci a été arrêté en Grèce et placé en détention en France avant d’être jugé par la Cour d’Appel de Paris.

On notera également que l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC) est doté d’un compte BITCOIN qui lui permet de saisir les « crypto avoirs criminels » directement dans les portefeuilles des cybercriminels et de procéder à leur revente aux enchères par la suite.

Ces pouvoirs d’enquête et de saisie des autorités françaises montrent l’intérêt pour les victimes d’attaques informatiques de déposer systématiquement plainte en cas d’attaque informatique et de conserver l’ensemble des éléments de preuve afin de permettre aux Officiers de Police Judiciaire d’initier une enquête qui pourra potentiellement aboutir à ce type de condamnation.

Anthony Sitbon
Lexing Département sécurité
Jennifer Bessi
Lexing Sociétés et Fiscalité du numérique

Notes

(1) Règlement (UE) n°910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur
(2) Conseil d’État, arrêt du 26 avril 2018, affaires jointes n° 417809, 418030, 418031, 418032, 418033.
(3) Actualité BOFiP – 02/09/2019 : RPPM – Création d’un régime fiscal spécifique applicable aux cessions d’actifs numériques réalisées à titre occasionnel, directement ou indirectement, par les particuliers.

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