Le phénomène Pokémon Go rattrapé par le droit

Le phénomène Pokémon Go rattrapé par le droitDécryptage des enjeux juridiques soulevés par le phénomène hors normes du jeu Pokémon Go, confronté en l’état actuel du droit à un véritable déficit juridique. Esquisse par analogie de quelques solutions sur les éventuelles responsabilités encourues.

Impossible d’échapper ces derniers jours à l’arrivée programmée en France de Pokémon Go, le dernier phénomène à la mode du Gaming, dont la sortie officielle, initialement prévue le vendredi 15 juillet, a été repoussée en raison du drame de Nice. Une décision dont la presse s’est largement fait l’écho, prise « en signe de respect pour le peuple français en cette période de deuil national » a tenu à préciser la Pokémon Company, filiale de Nintendo qui commercialise les produits sous licence Pokémon. Mais aussi et surtout pour éviter, sur fond d’état d’urgence, tout rassemblement « inapproprié » et potentiellement dangereux.

Car outre la réalité augmentée qui fait la force de Pokémon Go, la nouvelle appli qui fait fureur comporte une dimension communautaire incontestable puisqu’il est possible d’organiser des chasses collectives, telle celle qui devait se dérouler dans les Jardins du Luxembourg le 14 juillet. Or, ce n’est pas la moindre des questions juridiques que pose ce jeu, à l’instar de celle soulevée par le journal Le Monde du 19 juillet :  » Pokémon Go est-il soluble dans l’état d’urgence ? « .

Carte virtuelle, géolocalisation et réalité augmentée

En quoi consiste Pokémon Go ? Grâce à combinaison de la technologie dite de réalité augmentée et de la géolocalisation, le joueur se déplace réellement et dans le même temps, le capteur GPS de son téléphone permet de le faire évoluer sur la carte virtuelle.

En pratique, l’application nécessite de se déplacer en ville à la recherche de Pokémon sauvages : si l’un d’entre eux se trouve à proximité, le téléphone vibre, et le joueur part alors à sa recherche via la caméra de son smartphone. Le Gamer peut ainsi parcourir des villes, capturer des Pokémon, faire des arrêts dans des « Pokestop » afin notamment de faire le plein de Pokeball ou encore combattre dans des « arènes » au sein d’équipes afin de confronter ses Pokémon à ceux d’autres joueurs. En d’autres termes, « une nouvelle manière d’interagir avec sa ville et une communauté bienveillante composée de personnes de tout âge » (source: wikipedia).

C’est d’ailleurs bien l’annonce, relayée via Facebook, d’une chasse géante grandeur nature dans le Jardin du Luxembourg le 14 juillet qui a mis le feu aux poudres : devant l’ampleur qu’avait pris le phénomène (on parle de 5.000 participants annoncés), les organisateurs, n’étant  » plus maîtres de ce rassemblement », ont eux-mêmes concédé à l’annuler en précisant au Sénat et à la Préfecture qui s’étaient montrés pour le moins réticent : « Nous comprenons votre position, qui part d’une volonté d’assurer la tranquillité et la sécurité des promeneurs, et nous la respectons ».

Un vide juridique

Or, Pokémon Go, en ce qu’il se joue de la réalité, ne manque pas d’interroger sur les risques qu’il recèle. On a ainsi pu lire pêle-mêle que le jeu aurait fait polémique en s’invitant à Auschwitz ou encore au Musée de l’Holocauste de Washington ; que des adolescents l’auraient utilisé pour dépouiller leurs victimes ; de nombreux incidents ont été rapportés ces derniers jours : à New-York, l’apparition d’un Pokémon rare à la nuit tombée le 15 juillet aurait créé un mouvement de foule, certains automobilistes allant jusqu’à abandonner leur véhicule, clé sur le contact et portière ouverte, pour se ruer au plus vite sur le Pokémon. Le 19 juillet, un Français entré par inadvertance dans une base militaire en Indonésie aurait été interpellé et interrogé pendant plusieurs heures. Sa défense : il jouait à Pokémon Go !

S’il est trop tôt pour savoir si le jeu fera l’objet d’un encadrement législatif, comme le prédisait la semaine dernière une députée constatant la présence la semaine dernière de Pokémon Go dans l’Hémicyle, il est d’ores et déjà possible de dégager quelques solutions juridiques transposables à ce phénomène sans précédent. Décryptage.

Entre mondes réel et virtuel

Le jeu, constitué d’un algorithme permettant la navigation entre mondes réel et virtuel sur la base de transformations de la réalité par les techniques de modification, incrustation ou dissimulation, est, en l’état actuel du droit, confronté à un vide ou, à tout le moins, à un déficit juridique.

Il est néanmoins possible de dessiner quelques solutions sur les éventuelles responsabilités encourues en raisonnant par analogie.

L’objectif même du jeu est de permettre le déplacement du Gamer en milieu urbain. Il convient de distinguer les lieux publics, les lieux privés (incluant les lieux communs) et enfin les lieux « ouverts au publics », comme par exemple l’entrée d’un musée.

Ces distinctions permettent d’esquisser le régime de la responsabilité du Gamer par analogie à la réglementation dégagée en matière de vidéo protection.

Raisonnement par analogie

S’agissant des lieux publics, le risque majeur réside dans le danger d’attroupements surtout lorsqu’ils sont relayés massivement via les réseaux sociaux. En application de l’article L211-2 du Code de la sécurité intérieure, « la manifestation doit notamment être déclarée 3 jours francs au moins et 15 jours francs au plus à la Préfecture de Police » et est susceptible de faire l’objet d’un arrêté d’interdiction lorsqu’elle est de nature à troubler l’ordre public conformément à l’article L. 211-4 du même code.

Par ailleurs, et au regard du contexte actuel lié à l’état d’urgence, l’Etat dispose également, en application de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955, de la faculté d’interdire toute réunion de nature à provoquer ou entretenir le désordre.

Ces solutions sont également transposables concernant les lieux dits « ouverts au public ».

Concernant les lieux privés, l’incursion non autorisée est susceptible d’être qualifiée d’atteinte au domicile ou d’atteinte à la vie privée, sanctionnable par l’article 226-4 du Code pénal d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

Enfin, l’incrustation de la virtualité dans le monde réel est également susceptible de faire appel aux principes dégagés en matière de droit du filmage selon lequel il est possible de filmer une zone sous la réserve de ne pas filmer une œuvre. A défaut, des sanctions notamment au titre de la contrefaçon de droit d’auteur seraient encourues.

La disposition des Pokémon à capturer, des Pokéstop ou encore des arènes de combat est, quant à elle, gérée par un « maître du jeu » derrière lequel se cache un algorithme.

Le « maître du jeu » est ainsi techniquement responsable du déplacement des Gamer et pourrait voir sa responsabilité juridique engagée dans l’hypothèse d’une cristallisation d’une certain nombre de personnes dans un endroit déterminé et ce d’autant plus, si cet endroit est susceptible de présenter une certaine dangerosité soit du fait du rassemblement massif et du trouble qu’il créé, soit de ses conditions d’accessibilité.

La responsabilité, en cascade, nécessite de déterminer l’intervention humaine ayant conduit au fait générateur : créateur de l’algorithme, concepteur de la cartographie de déplacement, programmateur du jeu, société exploitante du jeu.

De plus, le comportement des Gamers est susceptible d’influer sur la responsabilité encourue : imprudence du Gamer, conduite négligente, etc..

Devant le vide juridique existant à ce jour, il y a lieu de miser sur l’obligation morale pesant de Pokémon Company avant que cette obligation ne soit transformée, soit par la jurisprudence, soit par un dispositif législatif approprié, en une obligation juridique.

A l’heure où nous bouclons ces lignes, la sortie officielle du jeu était imminente. Nous ne sommes qu’au début de l’aventure finalement …. Bonne chasse !

Alain Bensoussan
Eve Renaud

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