Marque non traditionnelle : pas de protection pour Birkenstock

Marque non traditionnelleAprès les semelles rouges Louboutin (1), c’est au tour des semelles Birkenstock d’alimenter la jurisprudence en matière de marque non traditionnelle.

La société Birkenstock Sales GmbH a sollicité la protection en France de l’enregistrement international d’une marque non traditionnelle ; marque qu’elle qualifie elle même de « marque de forme » et reproduisant le motif suivant :

Pour refuser cet enregistrement, le Directeur de l’INPI a considéré que le signe, « appréhendé comme un élément décoratif ou technique, ne permettait pas au consommateur moyen d’articles chaussants et de mode d’identifier sans ambiguïté les produits et services de l’entreprise titulaire de la marque par rapport aux produits et services de même nature fournis par ses concurrents ».

Dans son arrêt du 8 janvier 2021 (2), la Cour d’appel de Paris confirme la décision du Directeur de l’INPI. Bien que rendu sous l’empire des textes antérieurs à la réforme du droit des marques, il rappelle les difficultés rencontrées pour voir enregistrer des marques non traditionnelles.

Qu’entend-on par marque non traditionnelle ?

Pour saisir la difficulté à appréhender la protection des marques dites non traditionnelles, c’est-à-dire de marques qui ne sont pas exclusivement composées d’éléments verbaux et/ou figuratifs, il est nécessaire de revenir à la définition juridique de la marque ainsi qu’à sa fonction essentielle.

Historiquement, la loi du 31 décembre 1964 qui pose le principe de l’acquisition du droit sur la marque par le dépôt, définit la marque de fabrique de commerce ou de service comme « tous signes matériels servant à distinguer les produits, objets ou services d’une entreprise quelconque » .

Si, dès cette loi, le droit français reconnaît la possibilité de déposer une marque portant sur un signe non conventionnel tel que les combinaisons de couleurs ou les reliefs, la définition retenue comporte déjà la condition faisant obstacle à la protection de nombre de marque non traditionnelle, à savoir l’aptitude à distinguer des produits, objets ou services.

La loi du 4 janvier 1991 modifie la définition de la marque. Elle devient alors un « un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ». Cette définition s’accompagne d’une liste non exhaustive de signes susceptibles de constituer une marque ; parmi lesquels les « dessins, étiquettes, cachets, lisières, reliefs, hologrammes, logos, images de synthèse ; les formes, notamment celles du produit ou de son conditionnement ou celles caractérisant un service ; les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs ».

L’application par la jurisprudence

C’est sur le fondement de cet article qu’est rendu l’arrêt du 8 janvier 2021. Il statue sur la demande d’annulation d’une décision du directeur de l’INPI rendue le 20 mai 2019.

Depuis lors, l’article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle a fait l’objet d’une nouvelle réforme lors de la transposition de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.

Désormais, la marque se définie comme :

« un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales »

Etant précisé que « ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire ».

L’abandon de l’exigence de représentation graphique et de toute liste d’exemples, semble faciliter la protection des marques non traditionnelles ; voire, ouvrir la protection à certains types de signes jusqu’alors refusés :

  • marque de forme avec ou sans éléments verbaux,
  • marques de position,
  • marque de motifs,
  • marque de couleur ou de combinaison de couleurs,
  • marques de mouvement, …

Dans tous les cas, ce signe doit remplir la fonction essentielle de la marque. Cette dernière est, et demeure, l’aptitude du signe à distinguer les produits ou services d’une personne.

En cela, et bien que rendu en application des textes antérieurs à la réforme, l’arrêt de la Cour d’appel met en exergue les difficultés que peuvent poser de tels signes et la réticence à leur voir reconnaître une telle fonction.

Motif de surface se confondant avec l’aspect des produits visés

Le signe en question est décrit par l’arrêt comme composé de « lignes ondulées entrecroisées de façon répétées et positionnées de manière telle qu’elles laissent apparaître une succession infinie et régulière de motifs identiques, sans délimitation quant à son contour. En outre, le bord des lignes présente un aspect plus foncé conférant un effet d’ombres et de reliefs ». Par ailleurs, la marque désigne notamment des articles médicaux (chaussures orthopédiques) mais aussi des articles vestimentaires ou des accessoires de mode et de voyage.

Non qualifiée initialement, et pour cause, la marque a été déposée en 1994 ; la société Birkenstock Sales GmbH la qualifie devant la Cour de « marque de forme » autrement dit de marque tridimensionnelle.

La représentation du signe déposé conduit à s’interroger sur l’opportunité d’une qualification de marque de motifs ; c’est-à-dire d’un signe constitué d’un ensemble d’éléments qui se répètent de façon régulière.

La Cour semble quant à elle lui préférer la notion de « motif de surface » c’est-à-dire un motif ayant vocation à revêtir la surface des produits visés ou de leurs emballages. C’est à partir de cette définition qu’elle va apprécier l’aptitude du signe à remplir la fonction de marque ; se faisant, à apprécier plus particulièrement sa distinctivité.

La Cour rappelle que le caractère distinctif d’une marque s’apprécie par rapport aux produits ou services pour lesquels elle est déposée et à la perception qu’en a le public pertinent. Elle rappelle ensuite que :

  • ces critères, applicables aux marques verbales ou figuratives, le sont également aux marques non traditionnelles
  • tout en tenant compte du fait que le consommateur moyen n’a « pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel ».

Une appréciation plus stricte s’agissant de marques non traditionnelles

Ce faisant, la Cour, tout en appliquant les critères classiques d’appréciation de la distinctivité d’un signe, énonce implicitement que ces critères font l’objet d’une appréciation plus stricte s’agissant de marques non traditionnelles.

En l’espèce, elle retient que le motif de surface déposé « se confond avec l’aspect des produits désignés » ; lesquels peuvent présenter ce type de motif de surface pour des raisons techniques ou esthétiques.

A cette fin, la Cour observe que ce type de motif est caractéristique des motifs de surface du type de produits en cause et énonce que « l’expérience générale montre que les motifs appliqués en surface se caractérisent par une infinité de dessins différents et que ces éléments sont souvent des formes géométriques simples comme des points, des cercles de rectangles ou des lignes ces dernières pouvant être droites ou monter et descendre en zigzag ou en vagues ».

C’est en ce sens que s’était déjà prononcée la CJUE interrogée sur la validité de ce même motif (3).

L’appréciation de la distinctivité : cas des marques visant des produits médicaux

Analysons l’appréciation de la distinctivité du motif de surface désignant des produits de consommation courante et médicinaux au regard du consommateur d’attention moyenne.

La marque vise des produits médicaux de classe 10, tels que des chaussures orthopédiques, ainsi que des produits de consommation courante de classe 25, tels que des chaussures, chaussons, bottes, sandales, etc.

Le signe vise donc à la fois :

  • des produits médicaux qui supposent en principe un niveau d’attention élevé, et
  • des produits courants qui ne requièrent qu’une attention normale.

La Cour fait pourtant le choix d’examiner le caractère distinctif du signe au regard du consommateur d’attention moyenne, normalement informé ; et ce « quand bien même un public de professionnel plus avisé peut être également pris en considérations pour le matériel médical voire les articles orthopédiques également revendiqués ».

La Cour s’écarte de sa position antérieure (4) pour assouplir son examen de la distinctivité. Elle retient ainsi que la désignation de produits nécessitant un degré d’attention supérieur à la moyenne :

  • n’implique pas une appréciation de la distinctivité du signe au regard d’un public avisé
  • dès lors que des produits de consommation courante sont également visés.

La divergence significative avec les normes du secteur comme critère de distinctivité des motifs de surface

La Cour rappelle que les consommateurs moyens ne présument pas l’origine des produits selon leur forme ou emballage ; de sorte qu’en l’absence d’élément graphique ou textuel, le caractère distinctif des marques constituées de simples motifs de surface est plus difficile à établir.

La Cour subordonne donc la distinctivité des marques à la démonstration de leur divergence significative avec la norme ou habitudes du secteur. Elle déclare ainsi que « ces marques n’ont un caractère distinctif que si elles divergent de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur et de ce fait sont susceptibles de remplir leur fonction essentielle d’origine commerciale ».

En l’espèce, la société requérante n’est pas parvenue à démontrer que son motif diverge des normes du secteur ; notamment pour les articles chaussants et leur semelle. Elle n’est pas non plus parvenue à démontrer que ce signe aurait acquis un caractère distinctif par l’usage. Il en résulte qu’au regard du public pertinent, le signe ne remplit pas sa fonction distinctive et sera appréhendé comme un « simple motif de surface se confondant avec l’aspect des produits désignés ».

L’arrêt montre la difficulté à démontrer l’aptitude d’un signe non traditionnel à remplir la fonction de la marque.

Virginie Brunot
Solenne Mignot
Lexing Propriété industrielle contentieux

Notes

(1) Voir Une nouvelle décision sur la marque figurative Louboutin.
(2)  CA Paris, Pôle 5 Ch. 2, 08-01-2021, n°19/14730
(3) CJUE, 10e ch., 13-9-2018, Birkenstock Sales GmBH c. EUIPO, C-26/17.
(4)  CA Paris Pôle 5 Ch 2, 6-4-2018, n°17/01742, Birkenstock c. EUIPO, référence INPI : M20180144.

 

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